Rien n'avait changé, mais tout avait changé. Le rock a réussi à éclipser la tragédie pour deux petites heures, mardi soir, alors qu'Eagles of Death Metal reprenait son spectacle interrompu par le massacre de 90 spectateurs au Bataclan, en novembre dernier.

Dans un Olympia constellé de béquilles, de larmes et d'angoisse, le groupe américain a fait vibrer ses fans comme si le cauchemar n'avait fait que passer, clôt par son entrée en scène sur la musique de Dutronc Il est 5 h, Paris s'éveille.

Sauf qu'il était 21 h. Et Paris ne dort que d'un oeil depuis trois mois.

Peu importe. « Est-ce qu'on aime le rock ? Est-ce qu'on aime passer du bon temps ? Personne ne pourra jamais nous en priver », a lancé Jesse Hugues, le meneur du groupe, peu après avoir glissé un moment de silence et de recueillement au milieu de la première chanson du spectacle.

Exception faite de ce moment, d'un « Je suis Parisien maintenant » bien senti et d'une guitare électrique tricolore, c'est la musique et pas la tragédie qui était à l'avant-scène, hier soir.

Ce ne sont pas les spectateurs - même les plus touchés - qui vont s'en plaindre.

LA MUSIQUE AVANT TOUT

« C'était la musique avant tout. On est venus pour la musique, pour finir le concert. Le message politique, on s'en fout », a confié à La Presse Cédric Lacaze, rescapé du Bataclan, à la sortie du spectacle, boulevard des Capucines. « Ça permet de boucler la boucle, de finir quelque chose et de peut-être passer à autre chose. »

En entrant à l'Olympia, assailli par les caméras, Valentin Le Dall expliquait que le concert représentait « une grosse page de [sa] vie », qui lui permettrait peut-être de cicatriser la blessure mentale subie alors qu'il s'extirpait du concert du 13 novembre. Au sortir de celui d'hier soir, le jeune homme de 27 ans exultait. 

« C'était énorme. On a rendu une minute de silence au début et après on s'est totalement donné à la folie, à la fête et au rock'n'roll », dit Valenti Le Dall.

Comme ils l'avaient annoncé il y a quelques jours, Eagles of Death Metal n'a pas joué Kiss the Devil, le morceau que l'attaque terroriste a interrompu au Bataclan. « Nous avons des demandes de ne pas la jouer. Une personne qui ne veut pas l'entendre compte plus pour nous qu'une centaine qui voudrait qu'on la joue », expliquait l'un des membres dans le quotidien Le Monde.

20 PSYCHOLOGUES DÉPLOYÉS

Le groupe avait beau déployer tous ses accords et s'érailler la voix, l'innocence des cris à tue-tête et de la bière qui coule à flots qui prévalait avant le drame était perdue.

En entrant à l'Olympia, chaque spectateur muni d'un billet - identifié à son nom - devait passer pas moins de cinq contrôles, zigzaguant entre les agents de sécurité et les mitraillettes à nu des gendarmes, avant de mettre un pied dans la salle.

Une fois sur place, un important dispositif de soutien psychologique était prévu. « Il y a environ 25 personnes présentes, dont une vingtaine de psychologues », a exposé Jérôme Bertin, chef de service à l'Institut d'aide aux victimes et médiation (INAVEM). On a mis en place différents points d'écoute, avec des salons privatifs qui permettent des entretiens ou à des gens de s'isoler. »

Dans la foule, des yeux pleins d'eau, des spectateurs abrités dans les bras de leurs amis. Des ambulanciers et des pompiers qui détonent dans la mer de blousons noirs avec leurs habits fluorescents.

Déjà, en milieu de spectacle, « on a des personnes qui n'ont pas réussi à rentrer dans la salle, d'autres qui ont demandé tout de suite à s'isoler, qui demandaient tout de suite où étaient les sorties de secours », a ajouté M. Bertin, qui dit avoir aussi porté attention aux spectateurs qui quittent prématurément l'Olympia.

Selon son collègue Jean-Marc Benkemoun, psychiatre, la tenue de ce spectacle dans une autre salle que le Bataclan pourrait faciliter les choses pour les rescapés du 13 novembre. « Ça pourrait permettre à certains de trouver une sorte de conclusion, de boucler la boucle sans avoir à remettre les pieds dans la salle où le choc est survenu », a-t-il expliqué en entrevue.

Quant à la présence de chacun au spectacle, les avis des professionnels sont partagés sur la question et chaque patient est unique, a estimé le Dr Benkemoun.