Début décembre. La neige tombée lors des derniers jours semble être là pour rester. Assis à la cuisine, j'essaie d'écrire un texte de Noël qui sera publié dans La Presse. J'ai un solide rhume, un début de laryngite et le deadline approche. Je me fais sérieusement chier et je stagne devant l'écran vide depuis de nombreuses heures.

Mon fils Théo, 6 ans, se pointe avec un carton sur lequel il a fait un collage de tous les cadeaux désirés pour Noël: un Xbox, une table de ping-pong, un fusil à suces, des skis, des autos téléguidées... À l'oeil, il y en a pour 2500$. En me montrant lesdites photos, il me dit:

- Regarde, papa, j'ai demandé tout ça au père Noël! On va pouvoir jouer ensemble!

Mon fils, toujours le coeur sur la main.

Lili-Rose, ma grande fille de 8 ans, assiste à la scène quelque peu outrée.

- Heille là! Wo, Théo! Je suis vraiment pas certaine que le père Noël va pouvoir amener tout ça juste pour toi. Il faut qu'il pense à TOUS les enfants, t'sais, pas juste à toi...

Son regard cherche mon approbation que je n'hésite pas à donner. Loin d'être découragé, Théo est déjà reparti dans sa chambre en chantant.

- Warm is over if you wait it [sic].

Lili reprend la parole et m'explique son projet.

- Regarde, papa, j'ai écrit une lettre au père Noël pour qu'il sache qu'il devra passer par la porte cette année parce qu'on a fait des rénovations dans notre maison et qu'on n'a plus de cheminée. Penses-tu qu'il va comprendre? Penses-tu qu'il va venir quand même?

Elle me tend la lettre que je lis avec attention.

- Oui, tout est très clair, grande puce, je suis persuadé qu'il va comprendre. Va chercher un timbre dans le bureau, on ira poster la lettre aujourd'hui pour être sûr qu'il la reçoive avant de partir faire sa ronde de cadeaux.

Elle décampe sur-le-champ, laissant la voie libre à sa petite soeur Marie, 5 ans.

- Moi, papa, quand je vais le voir, je vais dire au père Noël que je m'appelle Marie et que je l'aiiiiime!

Elle me serre dans ses bras et me fait un grand sourire.

- Je t'aiiiime aussi, mon beau papa... Mais j'aime mieux maman!

La vérité sort de la bouche des enfants.

Et la voilà qui décampe à son tour. En vieillissant, j'apprends à profiter du bonheur à la seconde, parce que la seconde qui suit peut facilement tout saborder. Carpe diem, comme le chante Lara Fabian dans le char de ma mère.

Pris d'une soudaine frénésie des Fêtes, je mets un vinyle d'Elvis sur le tourne-disque. I'll have a blue Christmas without you... et je retourne à mon texte. L'idée d'écrire est plus heureuse que le geste d'écrire tout court, cela ne fait aucun doute dans mon esprit.

Quelques minutes plus tard, ma blonde entre dans la maison et lâche ses emplettes dans l'entrée. Elle a les yeux pleins d'eau.

- Les résultats de la biopsie de ma mère ne sont pas beaux. La masse est maligne. Elle va se faire opérer mardi...

On est sans mot. On se serre dans nos bras.

Pendant l'étreinte, je repense à tous ces Noëls de jeunesse passés dans l'insouciance, avec des parents jeunes et en santé. Puis arrivent les souvenirs de ma grand-mère Caron et de ma cousine Sonia, toutes deux parties trop vite, de mon grand-père Vallières, décédé au début de ma vingtaine. Je pense à cette bactérie qui aurait pu emporter ma soeur, il y a quelques années, puis je songe à Joe, mon ami du secondaire mort dans un accident de la route durant l'été qui a suivi notre graduation. Je pense à Lac-Mégantic et à la fatalité. Je pense à l'âge, à la maladie et à toutes ces malchances qui s'abattent quelque part sur la route. Surtout, je pense à ma belle-mère et au combat qu'elle devra mener.

Le mardi soir suivant, ma blonde rentre de l'hôpital où elle a accompagné ses parents durant l'opération d'un jour. Le médecin s'est montré rassurant, mais a dit qu'il y aurait des traitements de chimio et de radiothérapie. Elle a appelé la famille au complet pour donner des nouvelles. Elle a ramené ses vieux à la maison et a donné un coup de main à son père, brisé de voir son amour malade. Je la retrouve épuisée, mais sereine.

- Ma mère est forte, elle va passer au travers.

Dans son regard, il n'y a plus de place pour le doute. J'invite nos enfants, à qui nous n'avons encore rien dit, à venir nous rejoindre dans la cuisine. Lorsqu'ils nous sentent tristes, ils deviennent instinctivement plus tranquilles. Ils s'amènent en silence.

- Grand-maman a eu une grosse opération aujourd'hui. Ça s'est bien déroulé, mais elle est fatiguée. Dans le temps des Fêtes, elle va recevoir d'autres traitements pour continuer à guérir de sa maladie. Cette année, vous ne pourrez pas lui sauter dans les bras à Noël, il faudra être doux avec elle. Aussi, Noël va avoir lieu chez matante Caroline. Comme ça, quand grand-maman va être fatiguée, elle va pouvoir retourner chez elle.

Théo, songeur:

- C'est une opération à son sein?

- Oui.

- Je savais... J'ai entendu maman parler au téléphone l'autre jour...

Lili-Rose:

- On va faire des dessins et lui écrire des cartes pour lui dire qu'on l'aime. Ça va lui donner du courage.

Ma blonde sourit. Elle a les yeux dans l'eau, mais je sais que c'est du bonheur.

Marie:

- Oui! Je vais lui dessiner un coeur. Et quand je vais la voir, je vais lui dire que je l'aiiiiime!

Spontanément, ils se mettent tous les trois à l'ouvrage. Ému, je retourne à ma table de travail à la fois secoué et inspiré par cette résilience innée dont ils font preuve. Je regarde par la fenêtre et je vois les lumières de Noël qui brillent à perte de vue dans ma rue.