En août dernier, s'éteignait trop tôt Magnus Isacsson. Avant d'être emporté par le cancer à l'âge de 64 ans, ce cinéaste épris de justice sociale a eu le temps d'achever compléter Ma vie réelle, fruit d'une immersion filmique dans le quotidien de quatre jeunes de Montréal-Nord qui sera présenté demain aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal.

En guise de chant du cygne, il laisse un film hyper sensible qui aborde de front la délinquance et l'abandon, mais aussi l'omniprésente musique et la solidarité d'un, quartier malgré tout, plein de vie.

Alex est un ado à casquette tout frêle, au regard flou, un petit bum attachant qui rappe son mal-être et la rage que lui a légués sa mère prostituée perdue dans la brume des bas-fonds. Danny, qui a papillonné d'un centre d'accueil à un autre, trouve le salut dans la musique et le vélo. À 10 ans, Michael s'est retrouvé fin seul dans la ville, avec son petit frère à sa charge. Quelques années plus tard, il paie ses erreurs de jeunesse à coups de séjours hebdomadaires derrière les barreaux. Mikerson rappe sur sa solitude et la réalité de Montréal-Nord, accompagné par son mentor Don Karnage.

Dubitatif à l'endroit de la couverture médiatique de l'affaire Villanueva, Magnus Isacsson a voulu faire un film qui montrerait Montréal-Nord sous son vrai jour. Il en résulte un portrait d'individus qui survivent comme ils le peuvent. Un film très réaliste qui fait contraste avec les images guerrières d'émeutes et de gangs de rue qui plombent les ailes d'un quartier surtout peuplé de travailleurs à faibles revenus.

«Montréal-Nord, c'est un quartier comme un autre. Sauf que ses jeunes sont confrontés à des questions plus difficiles. Les organismes communautaires y sont hyper présents, les gens se connaissent, se parlent, il y a un vrai esprit de communauté. Et c'est l'un des quartiers les plus multiethniques de Montréal», témoigne Franck Le Coroller, qui a assisté Magnus Isacsson à la réalisation de Ma vie réelle.

Le documentaire s'immisce ainsi dans desappartements surpeuplés, des dynamiques familiales âpres, des studios de fortune où l'on bricole avec presque rien des raps qui crachent la douleur de vivre. «Ce n'était pas facile de rester en contact avec eux. Certains ont changé de téléphone portable six, sept fois. Ils m'ont obligé à créer un compte Facebook», relate Franck Le Coroller.

Magnus contre Goliath

Le lien qu'a créé Magnus Isacsson avec ses jeunes protagonistes se fait sentir tout au long du film, alors qu'on l'entend les interroger sur leur vie, leurs succès, leurs états d'âme.



«Magnus cherchait toujours à montrer les confrontations et les contradictions de ses personnages. Il était très important d'établir une confiance avec les personnages, mais ça n'a pas été facile. C'est normal, ce ne sont pas des enfants de choeur et ils étaient déjà méfiants vis-à-vis des médias, en général. Mais au bout de six mois, ça y était, on sentait qu'on ne les embêtait plus.»

Né en Suède et arrivé au Québec en 1970, Magnus Isacsson a connu une première carrière de journaliste avant de bifurquer vers le documentaire, au début des années 90. «Il était intéressé par les relations de pouvoir. Un jour, quand je lui ai demandé s'il se voyait comme un cinéaste engagé, il m'a répondu, dans sa grande humilité: «Moi, je documente ce que font les gens engagés», relate Frank Le Coroller.

Documentant les luttes syndicales (Maxime, McDuff & McDo), environnementales (Power, La bataille de Rabaska), Magnus Isacsson avait à coeur les luttes sociales des David contre Goliath de notre monde.

«Ce qui m'a frappé chez lui, c'était son amour de la race humaine. Ses films étaient à l'image de ce qu'il était dans la vie: hyper sensible, sans complaisance et sans compromis.»

Captant les chansons faites avec un MP3 et beaucoup de vécu ou les scènes quotidiennes de la rue Pascal, Magnus Isacsson a signé un film posthume qui n'embellit guère la dure réalité de Montréal-Nord, mais transmet néanmoins de l'espoir. «Ce sont des jeunes comme les autres, qui sont juste confrontés à des choix difficiles. Ta mère te bat, tu fais quoi? Tu restes ou tu pars?»

Une jeunesse ni dorée, ni bling-bling, mais pas sans lumière. Parce qu'il y a surtout une vie réelle, à Montréal-Nord.

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Ma vie réelle, de Magnus Isacsson, est présenté le 15 novembre à 17h au cinéma Excentris, à l'occasion des RIDM. Il prendra l'affiche le 23 novembre.

Photo: tirée du film Ma vie réelle

Michael, Danny, Alex et Mikerson, les quatre jeunes de Ma vie réelle, film posthume de Magnus Isacsson.