Ce mardi-là, on a trouvé Georges Lévesque assis devant son ordinateur, à côté de sa table de travail sur laquelle étaient étalées les pièces de l'un des 250 costumes d'Odysséo. Le gypsy, l'enfant «bâtard», le cheval sauvage de la mode québécoise était mort, emporté par une crise cardiaque à un mois de son 60e anniversaire qu'il aurait célébré demain.

«Oui, le choc a été dur», dira Michèle Hamel, première partenaire de création et d'affaires de Georges Lévesque, dans la ligne Pur Hasard en 1975. Trente ans plus tard, elle retrouvera son «vieux complice» dans l'équipe de DonJuan du tandem Félix Gray/Gilles Maheu. Et encore, au début de 2011, pour cette deuxième production de Cavalia à laquelle elle mettait la dernière main quand on l'a jointe cette semaine à son atelier.

«Georges et moi, on travaillait super bien ensemble», lance Michèle Hamel qui, après l'aventure Pur Hasard, s'est orientée vers la conception de costumes pour le cinéma et la télévision où elle a remporté à peu près toutes les récompenses imaginables: des Gémeaux pour Les filles de Caleb et Marguerite Volant, des Jutra pour Un homme et son péché et Un dimanche à Kigali, un Génie pour Maria Chapdelaine.

«Nous partions tous les deux de la matière, que l'on touchait sans cesse pour s'en inspirer. Georges se drapait d'une pièce que je commençais à épingler sur lui. On travaillait le tissu, on le teignait, on le lavait: toute la démarche était très sensuelle.»

Pour Cavalia, les paramètres de la direction artistique touchaient plus l'esprit du spectacle que le type de costumes à lui donner. «Il ne s'agissait pas de recréer des costumes d'époque, mais de rester dans le référentiel pour évoquer soit des époques, soit des régions.»

Si le prestigieux tandem est resté dans son style - «drapé, plissé, asymétrique, flou» -, il fallait se plier aux contraintes des artistes sur la piste, très différentes, on le comprend vite, pour l'élégant cavalier de carrousel et pour le trick rider passant sous le ventre de son cheval lancé au galop. Contraintes des acrobates aussi: ici, des nymphes aériennes accrochées à des tissus (c'est d'ailleurs le nom de la discipline); là, des ressorts humains engagés dans des séries de saltos où il est de prime importance de ne pas s'enfarger dans des pantalons trop grands...

Des créateurs de la trempe de Georges Lévesque et de Michèle Hamel, par ailleurs, restent en quête constante d'originalité, tant par rapport à leur production passée qu'au su de la compétition. «Il y a beaucoup de spectacles de cirque à Montréal et on y voit du très beau travail», dira encore Mme Hamel qui n'a jamais participé à une production de l'ampleur d'Odysséo: 250 costumes pour une cinquantaine d'artistes répartis dans les rôles que l'on sait, une équipe d'une vingtaine d'artisans qui ont coupé, teint, cousu, assemblé qui les guêtres de cuir qui la veste cosaque.

«Le défi était grand, mais je crois que Georges et moi avons réussi à rendre l'esprit d'Odysséo, à illustrer par le costume toutes ces ethnies et ces peuples de cavaliers qui ont marqué la relation de l'homme avec le cheval.»

Avec la création d'Odysséo puis le retour sur scène de Sherazade et de Don Juan, «l'esprit» de Georges Lévesque vivra encore bien des années sur les scènes du monde. Après, il restera le souvenir d'un créateur total qui, pour plusieurs, était «l'âme» de la mode montréalaise.