Chacun a un petit coin de verdure qui lui est cher. Dans le cadre de la série Grandeur nature, le photographe Ivanoh Demers et le journaliste Alexandre Vigneault lèvent le voile sur les paysages intimes de sept artistes. Elisapie Isaac, révélée par le premier album du groupe Taima, aime bien visiter des amis à leur chalet, dans Lanaudière, les Laurentides ou ailleurs. Mais son pays, ce n'est pas un paysage, c'est le vent.

Trop chaud, trop humide, trop étouffant, Elisapie Isaac a trouvé très difficile le premier été complet qu'elle a passé à Montréal, il y a cinq ans. Elle travaillait alors au premier album de Taima. Littéralement à la sueur de son front. Plus habitué à ces périodes de canicule où l'on se croirait sous les tropiques, son complice au sein du duo, le guitariste Alain Auger, aimait à se moquer des bouffées de chaleur de son amie inuk. Il l'appelait d'ailleurs «l'ourse polaire»

Elisapie Isaac vient de Salluit, village d'un peu plus de 1000 âmes situé à l'extrémité nord du Québec - au Nunavik, comme on dit aujourd'hui. Là-haut, au bord du détroit d'Hudson, les étés n'ont rien de caniculaire. Le mercure dépasse rarement les 20ºC, même au beau milieu du mois de juillet, quand le soleil fait des nuits d'à peine plus de trois heures. Pas de quoi suffoquer, d'autant que l'air n'y est jamais tout à fait au repos. «Même en été, chez moi, il y a du vent», confirme-t-elle.

Vu la longueur de l'hiver aux abords du cercle polaire, la chanteuse et cinéaste inuk pourrait revendiquer, encore plus que la majorité des québécois, le célèbre «mon pays, c'est l'hiver» de Vigneault. Or, son pays, c'est le vent - anurik, en inuktitut. La respiration de la terre est inscrite dans son ADN. Elle en connaît intimement toutes les humeurs, de la brise rafraîchissante du milieu de l'été aux blizzards de février. Plus que les grandes étendues glacées, c'est le vent qui lui rappelle que «la nature est plus forte que nous».

Les bourrasques du Grand Nord constituent en effet une force potentiellement dévastatrice. Les Inuits interdisent à leurs enfants de s'y exposer, de la même façon qu'ici-bas on dit aux nôtres de ne pas traverser la rue sans avoir regardé des deux côtés. «On le fait quand même. On joue avec le feu», avoue Elisapie Isaac. L'image qui s'impose à elle lorsqu'elle pense au vent n'est d'ailleurs pas celle d'une poussée dans le dos qui aide à avancer, mais celle d'une force qu'il faut braver. «Je reste debout face au vent», chante-t-elle dans Inuusivunga, magnifique chanson qui ouvre l'unique album de Taima.

«Ça m'inspire beaucoup, cette sensation d'affronter quelque chose de très puissant, dit-elle. Je suis quelqu'un de très doux dans la vie, mais j'ai quand même un côté qui a besoin d'être mis au défi.» Un vent vigoureux force à se positionner. Il force à le combattre, ne serait-ce que pour rester debout. Encore plus pour avancer. «Ça me garde réveillée», résume la chanteuse.

«Cocooning» extrême

Elisapie Isaac ne cantonne toutefois pas le vent dans le rôle de l'adversaire, soulignant que les très fortes tempêtes peuvent même être associées à une forme de cocooning forcé. «Elles t'obligent à ne rien faire, dit-elle en souriant. Tu te réfugies à l'intérieur, tu joues aux cartes et tu attends.» Pour s'amuser, ou peut-être simplement pour se désennuyer, les enfants s'efforcent d'imiter le bruit du vent. «Je suis super bonne pour ça!» affirme-t-elle encore, en échappant un rire franc, cette fois.

Et la voilà qui se met à inspirer et expirer, serrant les lèvres comme si elle s'apprêtait à siffler une mélodie. Modulant doucement sa respiration, la chanteuse laisse monter de faibles ondes très aiguës dont elle s'applique à contrôler l'intensité. Aucun doute possible, c'est bien lui, un vent acharné qui s'infiltre par les interstices d'une porte ou d'une fenêtre mal calfeutrée, au plus fort de l'hiver.

Fouinant dans le tiroir de sa mémoire où elle range des fragments de son enfance, la chanteuse et cinéaste retrouve cette autre anecdote: le ski-doo file dans la neige, elle enserre la taille de son père, qui est au guidon, et se colle dans son dos. Le vent passe en trombe de part et d'autre de ce rempart humain contre lequel, lovée bien au chaud, elle s'endort. «Il ne sait pas à quel point ça m'a marquée», dit-elle à propos de son père aujourd'hui décédé.

Maman d'une fillette de 2 ans, Elisapie Isaac tente de retourner dans le Grand Nord deux fois par année. Elle veut bien sûr que son enfant ait des contacts avec la culture inuit. Avantage non négligeable, le vent de Salluit lui donne aussi l'impression de se nettoyer le corps et l'esprit. «Au lieu d'aller au spa, je vais dans le Nord! Quand je vais dans mon village, j'ai l'impression d'avoir ma dose de produits de beauté. Mais c'est sûr que si on m'offre d'aller au spa, je vais y aller!» rigole-t-elle. Surtout si l'été lui paraît trop chaud, trop humide et trop étouffant.

Elisapie Isaac participe au spectacle Terre planète bleue présenté le dimanche 3 août en clôture des FrancoFolies.