Le site ne paie pas de mine et semble avoir été conçu il y a 10 ans. Il est tout blanc, avec une grande fenêtre au centre pour clavarder et deux plus petites qui s'alignent à gauche, prêtes à diffuser de la vidéo. Et pourtant, c'est le site qui fait parler tout l'internet ces jours-ci.

Une icône «Play» toise le visiteur. Il ne se passe rien si on n'y touche pas.

La première expérience sur Chatroulette.com est presque stressante. Car une fois qu'on clique, c'est tout un monde qui s'ouvre. Avec tout ce qu'il contient de fascinant et de répugnant.

«Play». Une jeune femme couchée sur un lit apparaît. Presque instantanément, elle s'évapore. Chatroulette n'est pas une expérience facile pour l'ego: en cliquant sur l'icône «Next», elle est passée à la personne suivante.

On a à peine le temps de réaliser qu'on vient de se faire rejeter qu'un groupe de jeunes hommes s'agglutinent devant nous. Ils regardent la caméra en rigolant, mais on ne les entend pas. Derrière eux, une affiche laisse croire qu'ils sont en Turquie.

Deux choix s'offrent alors: leur parler ou cliquer à notre tour sur «Next».

«Turkey?» demande-t-on. «How do you know?» s'étonnent-ils.

Une brève conversation s'engage jusqu'à ce que l'un des jeunes se mette à tenir des propos à connotation sexuelle. Les garçons s'échangent des coups de coude complices.

Cette fois, c'est nous qui cliquons sur «Next».

Il faut beaucoup de clics sur Chatroulette avant de trouver des gens véritablement intéressants et intéressés. Les gros plans de parties intimes succèdent aux personnages masqués et aux jeunes hommes qui, couteau en main, menacent de se suicider s'ils ne voient pas de seins dans les secondes qui suivent. Mieux vaut coucher les enfants avant de cliquer sur «Play».

Il en va de Chatroulette comme il en va de l'internet: c'est souvent n'importe quoi, mais au hasard des clics, des rencontres agréables surviennent.

Un jeune Chinois de la province du Hunan raconte qu'il étudie en architecture, mais qu'il est actuellement en vacances en raison des fêtes du Nouvel An. Une voix d'enfant se fait entendre par-dessus la sienne. Le jeune homme se penche et soulève devant la caméra sa nièce, une fillette avec des cheveux de jais coupés au carré, qui sourit à pleines dents.

Dans cet univers constitué principalement de jeunes hommes qui s'exhibent ou qui sont à la recherche de nudité, cette dose de mignon en concentré fait du bien.

Connections sans filtre

Professeur d'informatique à la TELUQ-UQAM, Sébastien Paquet a testé le site, qu'il qualifie de «connectivité pure».

«C'est l'expérience ultime de ne pas avoir d'intermédiaire et de se connecter à un parfait étranger. Les deux parties sont consentantes. C'est intime et distant en même temps», dit-il.

Sébastien Paquet admet toutefois avoir ressenti un malaise face à cette intimité avec un étranger qui s'affiche à l'écran.

«C'est un peu le même genre de malaise que celui qu'on ressent quand on est seulement deux dans un autobus, ou par exemple quand on fait de l'autostop et qu'on rencontre quelqu'un», dit-il. Le professeur n'est pas surpris du succès viral du site.

«Ce qui est intéressant, c'est que l'image est immédiate, dit-il. Ce n'est pas YouTube: la personne est comme elle est et ne peut pas mettre au point son image.»

Pour le meilleur et pour le pire.

 

Les origines russes de Chatroulette

Chatroulette fait jaser depuis quelque temps sur les réseaux sociaux, mais pendant plusieurs semaines, le mystère est demeuré total quant aux origines du site.

Seule une adresse courriel permettait de joindre la personne derrière ce concept. La Presse n'a jamais obtenu de réponse à ses questions et c'est finalement au New York Times que le prétendu inventeur de Chatroulette.com s'est confié.

La roulette russe du clavardage serait... russe! Andrey Ternovskiy a déclaré au quotidien être âgé de 17 ans et vivre à Moscou. Il aurait créé le site dans le seul but de s'amuser et l'aurait conçu lui-même. C'est le bouche à oreille qui a contribué à la popularité du site, auquel sont connectés environ 25 000 internautes en tout temps.

Il a par ailleurs indiqué au New York Times qu'il n'approuvait pas l'utilisation que plusieurs font de son site.

Le jeune homme affirme qu'il aimerait faire de Chatroulette une entreprise américaine et que des «offres intéressantes» lui sont déjà parvenues.