Après avoir été sévèrement contrariées par le développement de l'encyclopédie en ligne Wikipédia, d'augustes maisons comme Larousse et Britannica contre-attaquent. Sur la route du savoir universel, la guerre s'annonce sans merci.

À partir de 2001, un raz de marée nommé Wikipédia a déferlé sur le monde de l'encyclopédie. La nouvelle encyclopédie en ligne était gratuite, ce qui suffisait à ébranler les colonnes du temple. Mais surtout, elle confiait aux internautes le soin d'élaborer son contenu. Plus qu'une innovation. Une révolution.

Le succès fulgurant de Wikipédia a pris tout le monde par surprise, y compris son fondateur, l'américain Jimmy Wales. En janvier 2001, il avait lancé Wikipédia sans trop y croire, espérant seulement que les internautes lui fournissent des textes pour alimenter une autre encyclopédie en ligne, Nupédia. On connaît la suite. Dès le mois suivant, Wikipédia proposait 600 articles. Un an plus tard : 20 000. 

Aujourd'hui, Wikipédia figure parmi les 10 sites Internet les plus consultés à travers le monde. Elle propose désormais plus de 10 millions d'articles, rédigés dans 250 langues. Un succès colossal, quand on sait que les 30 volumes de la célèbre encyclopédie Universalis comptent 500 000 articles. 

Souffrez-vous du délire de Capgras? 

Certes, le rêve d'universalité de Wikipédia passe par l'infiniment petit. À côté de la biographie de Christophe Colomb, on remarque celles d'anciens joueurs des Nordiques comme Louis Sleigher ou Curt Brackenbury. L'an dernier, le magazine The New Yorker s'est même amusé à traquer des articles sur des sujets comme le délire d'illusion des sosies de Capgras, «un trouble psychiatrique dans lequel le patient, tout en étant parfaitement capable d'identifier la physionomie des visages, affirme (...) que les personnes de son entourage ont été remplacées par des sosies qui leur ressemblent parfaitement». 

Les encyclopédies traditionnelles ont d'abord cru que la formule «participative» de Wikipédia était condamnée à l'échec. De fait, la nouvelle venue éprouve parfois des problèmes avec des internautes qui diffusent n'importe quoi ou qui «vandalisent» les notices en ligne. Plusieurs élus américains ont été surpris à enjoliver leur biographie.

Sept ans après son lancement, des pages «polémiques» doivent faire l'objet d'un contrôle minimal. Comme celles qui sont consacrées à George W. Bush, par exemple.

À l'usage, grâce à l'incessant travail collectif, le contenu Wikipédia s'est pourtant révélé d'une fiabilité étonnante. Un article de la revue scientifique Nature, publié en décembre 2005, a ainsi comparé 42 articles scientifiques de Wikipédia avec ceux de l'encyclopédie Britannica. À la surprise générale, l'encyclopédie en ligne soutenait la comparaison. «Les encyclopédies vont-elles mourir?» osait alors demander Science. 

L'encyclopédie contre-attaque 

En 2007, la radio Europe 1 révélait que les ventes de l'édition papier de certaines encyclopédies avaient diminué de plus de 75 %, par rapport au milieu des années 90. La situation ne pouvait plus durer. 

La riposte des encyclopédies traditionnelles commence à peine. Elle franchit une nouvelle étape, aujourd'hui, avec le lancement de l'encyclopédie en ligne de Larousse. 

La maison d'édition y offre gratuitement «la totalité de son fond encyclopédique», soit environ 150 000 articles. Les internautes peuvent aussi y ajouter leur contenu, dans un espace clairement identifié. Pour éviter le «vandalisme», les contributions externes doivent être signées, en plus d'être soumises à une équipe de modérateurs. 

«Avec Wikipédia, nous avons (...) pris conscience que les internautes venaient sur le Web pour chercher de l'information mais également pour en fournir», a concédé à l'AFP le pdg de Larousse, Isabelle Jeuge-Maynart. Mais déjà, des critiques accusent la maison d'édition de baliser trop sévèrement la contribution des internautes... 

Pour sa part, l'encyclopédie Britannica offre désormais gratuitement en ligne les volumes de sa collection. Mais pour une année seulement. La prudence de Britannica s'explique sans doute par l'échec cuisant de sa tentative d'offrir gratuitement son contenu en ligne, en 2001. Après avoir rêvé de financer le tout grâce à la publicité, elle avait dû battre en retraite, dans la plus grande confusion. 

Devant cette offensive, Wikipédia songe à élargir le champ de bataille. Sa version allemande envisagerait même l'impensable : publier une version sur papier! Une brique de 992 pages, qui proposerait une sélection des articles les plus consultés au cours des 18 derniers mois. Bref, le monde à l'envers. 

Sur papier, le pari n'est pas gagné d'avance.