Le projet était noble, la riposte a été rapide et les oppositions nombreuses. Google a annoncé l'année dernière la création d'une grande bibliothèque virtuelle à la portée de l'humanité. Bravo ! ont dit les écrivains et les éditeurs, mais pas sans payer les droits d'auteur.

Le projet était noble, la riposte a été rapide et les oppositions nombreuses. Google a annoncé l'année dernière la création d'une grande bibliothèque virtuelle à la portée de l'humanité. Bravo ! ont dit les écrivains et les éditeurs, mais pas sans payer les droits d'auteur.

Les deux fondateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin, ont la bibliothèque ambitieuse: en un clic de souris, 15 millions d'ouvrages comptant plus de quatre milliards de pages à lire d'ici six ans. Gratuit pour tous les lecteurs branchés, de Trois-Rivières à Tombouctou. Preuve que le projet est sérieux, le tandem a comme partenaires les prestigieuses bibliothèques des universités de Stanford, de Harvard et du Michigan aux États-Unis et d'Oxford en Angleterre ainsi que la New York Public Library. Toutes leur ouvrent leurs portes.

Au départ, le plan est de numériser les ouvrages qui ne sont plus liés à des droits d'auteur. Selon la Convention de Berne, un livre est libéré de ses droits 50 ans après la mort de son auteur. Dans un élan de vertu, les Américains ont décrété qu'aux États-Unis, la période serait allongée à 70 ans.

L'opération Google devrait coûter 180 millions de dollars si ça se passe bien, et 240 millions s'il y a des embûches. Et embûches, il y a déjà.

Devant les tribunaux

La première est venue d'un groupe d'auteurs américain; la deuxième, de

l'Association des éditeurs américains. Les deux groupes s'opposent au projet, car la bibliothèque virtuelle proposera aussi des extraits de livres toujours protégés par des droits. Les auteurs et éditeurs, ou leurs descendants, dont les livres sont dans les bibliothèques partenaires de Google, n'ont qu'à se manifester pour que leurs livres soient retirés de la liste.

La réponse des scribes et de leurs éditeurs est venue sont forme de poursuite. Dans cette aventure, les éditeurs jugent qu'ils ont beaucoup à perdre.

«Si je suis un éditeur et que je publie les oeuvres de Socrate, je fais de l'argent en vendant mes livres et je ne dois pas payer de droits d'auteur", explique Hervé Fischer, auteur des livres Le Romantisme numérique et Les Défis du cybermonde. Les éditeurs font le calcul, à tort selon M. Fischer, que les gens imprimeront les livres à partir des sites des bibliothèques et cesseront de les acheter en librairie. "Les éditeurs seraient privés de revenus fixes, dit-il. Et ces revenus sont importants, car ils leur permettent de financer la publication de livres de jeunes auteurs dont la vente est moins assurée que ceux de Socrate...»

Un autre opposant s'est fait entendre dans le dossier Google, et très fort: Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France, qui souhaite mettre sur pied une bibliothèque européenne faisant la part belle aux ouvrages francophones, bien sûr.

Au Québec, la Bibliothèque nationale du Québec est plutôt sympathique à la cause «non américains». «Nous avons eu quelques échanges informels avec des représentants de la Bibliothèque nationale de la France», indique le porte-parole de la BNQ, Patrice Juneau.

L'Association nationale des éditeurs de livres du Québec abordera la question des bibliothèques virtuelles au cours d'un symposium international des droits d'auteur. L'événement aura lieu à Montréal au printemps prochain, et il devrait réunir autour d'une table des représentants de la Bibliothèque nationale de France, de Google ainsi que de Yahoo! et Microsoft, qui travaillent aussi à la mise sur pied de bibliothèques. L'ouverture de celle de Microsoft est prévue dans quelques mois. Le géant de l'informatique s'est lui aussi trouvé un partenaire de taille, la British Library, qui lui fournira 100 000 titres, tous libérés de droits.

Les débats du Symposium s'annoncent fort animés...

Les opposants peuvent se rassurer: Google Print, la fameuse bibliothèque, a fait ses débuts ce mois-ci. Des débuts qui sont assez modestes, voire même assez décevants.

En inscrivant le nom «Michel Tremblay» sur le site, on tombe d'abord sur une série de guides de littérature gaie, puis sur un guide de voyage de Montréal. Rien qu'un moteur de recherche traditionnelle ne permet pas déjà. Dans un cas comme celui-là, la bibliothèque de Google ne sera qu'un complément pour des chercheurs, quoiqu'en disent les associations d'auteurs et éditeurs.

Auteurs, musiciens, même combat ?

Les auteurs auront-ils eux aussi à mettre la mention "merci de ne pas copier" à la fin de leur livre?

Le combat des auteurs ne se compare pas à celui des artistes de l'audiovidéo, explique Hervé Fisher. On peut télécharger de la musique et la mettre dans son iPod ou tout autre appareil, aussi microscopique soit-il. Les vidéos sont aussi facilement adaptables à un petit format qu'il n'est pas désagréable de regarder dans le métro ou dans une salle d'attente.

«Je ne crois pas à la lecture sur écran, dit Hervé Fischer. Je ne vais pas lire Socrate sur mon téléphone cellulaire à moins d'être un obsédé total de la philosophie grecque.»

Il n'est pas le premier à affirmer que la lecture sur écran ne remplacera jamais le vrai livre. Qui est malléable et permet de souligner des passages importants.

De même, les bibliothèques virtuelles ne videront pas les bibliothèques. «Au contraire», réplique Patrice Juneau, de la Bibliothèque nationale du Québec, qui rappelle que la Grande Bibliothèque de la rue Berri a beaucoup plus d'abonnés qu'elle ne l'avait prévu, malgré ses services Internet qui comprennent presque deux millions de pages de documents numérisés. «Rien ne pourra remplacer le lien physique que le lecteur a avec son livre», dit-il.