Je reviens d’une semaine hors ligne. C’était une sorte de retraite en forêt pour personnes débordées et surchargées, qui se sont réfugiées dans de confortables chalets pour se ressourcer.

Je craignais d’être anxieuse, de penser constamment aux informations qui continuaient d’affluer dans mes appareils éteints. Mais non, ç’a été facile. J’étais comme une personne qui va promener son gros chien, conditionnée à ce qu’il tire fort sur la laisse, encore et encore : j’étais surprise de regarder vers le bas et de constater qu’il n’y avait rien.

J’avais déjà fait moi-même, en solo, des sevrages numériques d’une journée : j’avais l’impression de rater des communications cruciales. Mais pas cette fois : j’étais avec 30 autres personnes en désintoxication, comme moi.

Sans ordi ni téléphone, nous avons renoué avec des pratiques d’une autre époque comme le contact visuel et la conversation légère. La consigne était de rester présent même durant les silences, ce qui a créé une sorte d’intimité. Le monde réel, dans toute sa vivacité, a richement meublé le temps. J’étais ancrée dans le déroulement de la vie quotidienne, un moment à la fois. S’il m’arrivait de penser à mon téléphone – imprévisible, asynchrone et chaotique –, je me le représentais avec dédain, comme un ami imprévisible et énergivore que je devais bannir de ma vie.

Retour brutal

Comment, me demandais-je, pourrais-je me libérer du joug de la technologie sans m’imposer une retraite en forêt ? Qui parmi nous peut vraiment se déconnecter complètement pendant de longues périodes ? Ou exiger de sa famille, ses amis et ses collègues de faire de même ? Les trucs et conseils habituels sont connus : pas de téléphone dans la chambre à coucher, pas d’applis de médias sociaux sur le téléphone, écran en teintes de gris… Pourquoi ces résolutions ne tiennent-elles jamais ?

J’ai demandé à Oliver Burkeman, auteur du livre sur la gestion du temps Four Thousand Weeks (« Quatre mille semaines », la durée de vie moyenne d’un être humain), s’il avait de nouvelles idées pour assainir notre relation avec la techno. Le titre de son livre amène à se demander : « Combien de ces semaines ai-je déjà perdues à faire défiler des articles sur la fin du monde ? »

Selon M. Burkeman, il n’y a pas de truc magique pouvant à lui seul nous libérer de notre dépendance au téléphone. Mais si on modifie sa perspective, certains changements pratiques peuvent fonctionner.

Changer de perspective

La clé, selon M. Burkeman, est d’ajuster ses perceptions. Il conteste l’idée reçue sur la distraction et les médias sociaux, selon laquelle nos efforts vertueux pour nous concentrer sont victimes des forces maléfiques de la Silicon Valley, qui sapent notre volonté et notre attention avec Instagram et Facebook.

Ce n’est pas ce que vivent la plupart des gens, dit-il.

En réalité, notre travail déclenche en nous des émotions désagréables comme l’ennui, la peur d’échouer ou la crainte de manquer de temps. Alors pour échapper à ces sentiments désagréables, on se réfugie dans son téléphone. Or, il est conçu pour capter notre attention et absorber toute notre journée.

Il faut donc garder à l’esprit « l’idée que la distraction commence à l’intérieur de soi, pas dans le laboratoire d’une méchante société techno qui veut casser notre concentration », dit M. Burkeman. En assumant cela, c’est nous qui sommes responsables, et quand les émotions désagréables surgissent, nous les reconnaissons et nous sommes mieux équipés pour y résister.

Vivre dans la vraie vie

Ce qui me manque le plus de ma semaine sans techno, c’est le sentiment qu’il n’y avait que la vie réelle, sans cet univers parallèle en ligne où j’ai des responsabilités, des tâches et un personnage à assumer. J’existais dans un seul lieu. Plutôt que d’essayer d’éradiquer les médias sociaux, M. Burkeman suggère de travailler à « faire basculer notre réglage par défaut » vers la vie réelle.

« Rappelez-vous que la vraie vie est ici, dans l’environnement physique, là où on parle aux gens et fait des choses », a-t-il déclaré.

Faites des médias sociaux un endroit où vous allez faire un petit tour, pas l’endroit où vous vivez.

Oliver Burkeman, auteur d’un livre sur la gestion du temps

Mettez de la distance entre vous et les sonneries et alertes de votre téléphone, conseille la Dre Aditi Nerurkar, médecin interne à la Harvard Medical School et autrice de The 5 Resets, un livre sur le stress et la résilience. Éloignez-le d’au moins 3 mètres de votre poste de travail le jour, et de votre table de nuit le soir. Désactivez les alertes et les notifications instantanées.

Pendule à coucou et sablier

Celeste Headlee, journaliste et autrice du livre Do Nothing, a récemment investi dans une pendule à coucou.

« Les applis de téléphone ont été conçues pour capter notre attention en nous encourageant à ne plus avoir conscience des minutes qui passent », explique-t-elle. Chaque heure, le coucou sort de la pendule et l’incite à lever les yeux et à prendre conscience du temps qu’elle peut avoir perdu, le nez dans ses appareils.

De même, quand Mme Headlee a besoin de se concentrer, elle retourne un sablier de 30 ou 60 minutes. Lorsqu’elle est tentée d’attraper son téléphone, le sable qui s’écoule lui rappelle que quelques minutes seulement ont passé depuis qu’elle a commencé une tâche.

M. Burkeman prévient que changer un comportement peut être inconfortable au début. C’est comme développer de nouveaux muscles.

Pour certains, changer vraiment ne se fait pas en adoptant d’un coup un régime rigide ; mieux vaut être un peu plus doux avec soi-même. Si on perd une heure sur les médias sociaux, on peut en prendre acte et passer à autre chose. C’est une approche parmi d’autres.

M. Burkeman prône l’approche dure, mais admet que la méthode douce a ses avantages : « J’ai une réaction d’agacement et de gêne quand j’entends parler d’autocompassion. Mais vous savez quoi ? C’est parce qu’elle est nécessaire et que j’en ai besoin. C’est souvent dans ces cas-là qu’on a ce genre de réaction. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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