Sextorsion, menaces en ligne et rançongiciels sont le quotidien depuis 2017 de l’unité spécialisée en cyberenquêtes à la police de Montréal. Alors que se tient cette semaine le deuxième Cybersommet Montréal, où convergeront des centaines de policiers et d’experts, La Presse a rencontré un des piliers de cette unité, la sergente-détective Maya Alieh.

On entend peu parler de l’équipe de cyberenquêtes du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Quel est votre rôle ?

Depuis le début de l’année, on a traité au-dessus de 1360 dossiers. C’est entre 20 et 30 % d’augmentation continuelle depuis la création du module cyberenquêtes. On traite vraiment de tous les crimes au Code criminel, mais je vous dirais que ce qui va beaucoup attirer notre attention, ce sont les crimes avec victimes de menaces. Les crimes contre la personne sont en hausse et c’est sûr qu’on n’a pas tous les chiffres, tout n’arrive pas à nous.

De quels types de menaces parle-t-on ?

Des menaces de toutes sortes. Les menaces en ligne faites sur les plateformes. Des dossiers de vols qualifiés, de vol à main armée où on se retrouve à vendre sur Marketplace ou Kijiji, où on se retrouve à se faire voler notre argent ou le produit par la personne rencontrée en ligne.

Les gens utilisent beaucoup l’internet pour se permettre beaucoup plus qu’ils se permettraient normalement, il n’y a vraiment aucune retenue. On a ce sentiment qu’on est anonyme, ce qui n’est pas souvent le cas. Il y a beaucoup de façons de localiser des personnes, mais on dirait que les gens ne s’en rendent pas compte et se permettent beaucoup plus d’actions en ligne.

Il a été question à quelques reprises dans l’actualité du sentiment des victimes que la police ne prend pas leurs plaintes au sérieux. Que répondez-vous à cela ?

Je comprends que c’est très difficile. Il y a des victimes qui ne se sentiront pas écoutées, elles vont rentrer chez elles en se disant qu’on les a renvoyées sans avoir rien fait. Je l’entends souvent. Par contre, il faut vraiment regarder l’envers de la médaille et tenir compte des faits qu’on a devant nous. Le harcèlement criminel est un crime très difficile à prouver.

Souvent, je vais leur dire : « On va tout reprendre à zéro. Je te crois, je comprends ton histoire, je comprends comment c’est difficile. » Mais pour retrouver quelqu’un en ligne, il me faut les identifiants de ces faux comptes qu’il a utilisés, les captures d’écran de ce qu’il t’envoie comme messages, il me faut les dates et les heures auxquelles il t’a écrit pour prouver une répétition et un acharnement. Souvent, je vais les renvoyer à la table de travail.

Une partie du sentiment d’impuissance vient du fait qu’on a l’impression qu’il est impossible de retrouver quelqu’un sur les réseaux sociaux, où on peut prendre un pseudonyme, se cacher avec des outils informatiques. Avez-vous les outils pour y arriver ?

Je vous dirais qu’on est équipé et on y met énormément d’efforts. C’est vraiment un amalgame des techniques ou d’interventions. Mais au niveau virtuel, on a un taux de succès quand même très élevé et on retrouve énormément de personnes qui se croient anonymes.

Que se passe-t-il quand le crime a des ramifications internationales, par exemple quand des rançongiciels sont utilisés contre des entreprises – ce sont surtout elles qui sont visées – par des cyberpirates à l’étranger ?

On va guider l’entreprise pour lui expliquer ce dont on a besoin. Ce sont des enquêtes qui sont très complexes et si une police municipale comme le SPVM n’a pas la capacité ou les ressources technologiques, on va travailler avec la Sûreté du Québec (SQ) ou le Centre de cybercriminalité de la GRC. Les entreprises, par contre, vont souvent avoir comme priorité de reprendre leurs activités et vont faire appel à des firmes spécialisées.

Dans mon expérience avec mon équipe, avec les chiffres que je vois, la plupart choisissent de ne pas porter plainte au criminel. On va toujours les encourager à le faire. On va leur demander de ne pas payer leur rançon, parce qu’il y a des risques de récidive et aucune garantie que leur système va être débloqué.

Est-ce que votre module donne des conseils en matière de cybersécurité ?

Je ne veux pas dire qu’on ne fait pas de prévention, mais mon équipe est spécialisée en intervention. Notre objectif primaire, c’est de résoudre les enquêtes et d’assister les enquêtes dans les crimes virtuels. Il n’y a pas de campagne de sensibilisation qui va émaner de la cyberenquête.

Par contre, on partage énormément l’expertise et l’information, qu’on va donner aux policiers de première ligne pour vulgariser le phénomène, l’expliquer et voir comment on peut aider la victime. Par exemple, comment un policier va prendre une plainte pour sextorsion ou pour un rançongiciel ? Qu’est-ce qu’une victime a besoin de nous remettre dans sa déclaration pour un harcèlement criminel en ligne ?

On se déplace énormément pour des conférences pour parler des enjeux en matière de cyberenquête et de cybercriminalité, les faire connaître en 2023. Si, par exemple, les éducateurs ou les parents ne savent pas que Snapchat existe, comment TikTok fonctionne, qu’Omegle est une des applications les plus populaires parmi les jeunes du secondaire.

Devrait-on limiter l’accès des réseaux sociaux aux jeunes ?

Gardez un contrôle parental. À 6 ans, 7 ans maintenant, ils se retrouvent sur des plateformes où on est censé avoir 13 ans, et ce ne sont pas des cas isolés. Ma première victime de tentative de suicide à cause de menaces sur des réseaux sociaux avait 6 ans, elle était en première année du primaire. Pour moi, c’est très troublant. Il faut que les gens le sachent, il faut qu’on en parle.

Pensez-vous que la cybercriminalité est appelée à augmenter, ou qu’il est possible de la contrôler ?

Je pense que ça va continuer d’être en constante croissance, je ne crois pas que ça va diminuer. Ça va se complexifier, ça va se multiplier. C’est pour ça qu’on organise le Cybersommet Montréal [qui se déroule ce mardi et ce mercredi]. Il va avoir plus de 300 enquêteurs de toutes les organisations qui vont être réunis pour deux jours, avec de la formation où on va aborder le monde virtuel, le métavers, la cryptomonnaie, ces nouvelles technologies comme ChatGPT. Tout se complexifie, on a maintenant le monde virtuel et le monde réel où on mène deux vies en parallèle.

On ne peut plus se fermer les yeux. Est-ce que ça va baisser ? Non. La seule façon de s’en occuper, de ne pas se décourager et de ne pas baisser les bras, c’est justement de travailler ensemble, de ne plus jamais travailler en silo, de faire de la formation continue, de continuer de lire, de s’approprier cette technologie.

Pour des considérations de lisibilité et de concision, cette entrevue a été remaniée.