Comment les entreprises peuvent-elles se préparer aux enjeux juridiques de l’IA ? Voici un petit programme en 10 étapes, basé sur l’expérience de nos experts juristes.

1. Se cultiver en matière de technologie

« La première étape, c’est la compréhension de la technologie », avance Éric Lavallée, du cabinet Lavery.

« Quand on parle d’intelligence artificielle, il s’agit d’une grande famille de technologies qui n’utilisent pas le même genre de données, ni les mêmes méthodes dans certains cas. Tout n’est pas égal et tout n’a pas les mêmes conséquences sur le plan juridique. Il faut donc que les dirigeants se cultivent et acquièrent les compétences pour comprendre les technologies qui seront utilisées au sein de leur entreprise ou dans leur domaine, comprendre ce qu’elles font, et comprendre quels renseignements elles manipulent. »

2. Comprendre les enjeux juridiques

« Pour éviter les risques, une fois qu’on a compris comment fonctionne la technologie, il faut essayer de comprendre les enjeux juridiques », énonce encore Éric Lavallée.

« Par exemple, si on a des renseignements personnels qui sont utilisés ou transmis à une plateforme d’intelligence artificielle, il faut comprendre comment ces renseignements vont être protégés. »

Aussi difficile et imprécis que l’exercice puisse être, il faut « essayer de voir où sont les risques pour l’entreprise et les jauger », avise l’avocat.

« Est-ce qu’on va manipuler des secrets commerciaux de partenaires d’affaires, par exemple ? Le cas échéant, qu’est-ce qu’on a comme cadre contractuel qui vient nous limiter dans l’usage qu’on peut en faire ? »

« Toute cette réflexion doit se bâtir au sein de l’entreprise, en ayant les compétences nécessaires. »

3. Une bonne hygiène des données

Dès le départ, l’entreprise doit instaurer ce que Misha Benjamin, chez BCF, appelle « des pratiques de données avec une bonne hygiène ».

« Quand on commence à récolter de la donnée, il faut la classifier d’une bonne manière, l’entreposer d’une bonne manière, il faut penser à toutes les limitations qui s’y appliquent. »

Le moment venu, elles seront prêtes à subir l’épreuve de l’intelligence artificielle.

4. Se donner un cadre de gouvernance

« Autre mesure très importante, il faut se doter d’un cadre de gouvernance en matière de renseignements sensibles, que ce soit les renseignements personnels ou les secrets commerciaux », soutient Éric Lavallée.

Ce cadre répondra aux questions essentielles : quelles informations détient-on au sein de notre entreprise ? Combien de temps les conserve-t-on ? À qui donne-t-on accès à ces renseignements ?

« Et parfois, cet exercice nous permet de mieux identifier les zones à risque et de faire les meilleurs choix lorsqu’on va devoir acquérir une plateforme technologique. »

5. Cerner rapidement les risques

Chez BCF, les interventions dans le cadre d’un projet d’IA doivent être précoces.

« On aime intervenir dès le début pour cadrer quel système on va utiliser, avec quels partenaires on va faire affaire, quel type de données on va utiliser, décrit Misha Benjamin. Il s’agit de cerner les risques dès le début, puis de faire une analyse de risque à chaque étape. De qui a-t-on besoin pour passer à la prochaine étape ? Qui va prendre ces décisions ? »

La recette s’applique à toutes les entreprises mêlées de près ou de loin à l’IA, mais il est rare qu’un seul chef soit aux fourneaux.

« Il n’y a pas un type de profil qui peut faire ça tout seul, dit-il. Ça prend des avocats, ça prend des technologues, ça prend quelqu’un qui parle pour les utilisateurs. »

Ces ressources seront réunies pour « créer un plan de match où on a des points de contact à chaque décision importante ».

6. S’adapter à sa taille

Cette réflexion doit également être menée dans les entreprises modestes, voire individuelles.

« Elle va être proportionnée à la taille de l’entreprise, recommande Éric Lavallée. Mais ça implique que les entrepreneurs, même dans les petites entreprises qui ne sont pas dans le domaine des technologies, doivent se cultiver. Et à cet égard, l’internet est rempli d’informations très intéressantes sur l’intelligence artificielle. »

7. Se préparer aux nouveaux cadres juridiques

Même s’ils ne sont pas tous ou entièrement en place, les entreprises doivent déjà se préparer aux nouveaux cadres juridiques entourant l’IA.

« Quand on est dans un projet de développement d’une plateforme d’intelligence artificielle, il est important de bien documenter ce qu’on a fait, soutient Éric Lavallée. Par exemple, si on parle d’un modèle de langage, sur quelle source l’a-t-on entraîné ? Car les cadres réglementaires qui s’en viennent vont souvent exiger une certaine transparence. Il faudra être en mesure de démontrer ce qu’on a fait pour protéger le public, pour s’assurer que le résultat est exempt de biais systémiques, que l’outil ne va pas causer de discrimination envers les minorités. »

Ces préoccupations doivent être présentes dès la conception d’un outil d’intelligence artificielle, ou dès qu’on songe à son adoption.

8. Au moins essayer

« Les pénalités prévues dans la loi européenne peuvent aller jusqu’à certains pourcentages des revenus mondiaux. Ce n’est pas une tape sur la main », indique Misha Benjamin.

Les entreprises exportatrices de biens ou services touchés par l’IA devraient au moins commencer à s’y conformer.

« Je pense qu’il y aura une approche qui sera très différente pour ce qui est de la mise en vigueur si on fait la plupart des bonnes choses, même si ce n’est pas à 100 %, par comparaison à ceux qui n’essaient même pas de faire ce processus de gestion de risques. Il faut au moins commencer à bâtir ce muscle. »

9. Une veille

On le voit, les lois et règlements tentent de suivre les progrès fulgurants de l’IA. « Je pense qu’une entreprise qui songe à utiliser une solution d’intelligence artificielle devrait mettre en place une veille... législative, si on veut, c’est-à-dire de regarder quelles sont les évolutions des lois, avise Éric Lavallée. Et ça n’a pas besoin d’être très formel, mais d’avoir au moins une personne qui est responsable de ce suivi. »

10. « Je dirais qu’à travers tout ça, il ne faut pas que les gens aient peur de consulter des avocats », prononce (sans trop de surprise) Me Éric Lavallée.

Leur parler au moment opportun, c’est-à-dire tôt, « permet parfois d’éviter des problèmes qui surviennent lorsqu’[ils arrivent] trop tard dans des déploiements de solutions informatiques ».