Au Québec, les vignerons doivent faire eux-mêmes la livraison de leurs vins dans les commerces de la province, dont certains s’arrachent leurs cuvées les plus populaires. Mais ce règlement, que plusieurs jugent contraignant, pourrait changer prochainement, pour le plus grand plaisir des producteurs qui préfèrent être dans le champ et le chai que sur la route.

« Ça n’a aucun sens », lance Sylvie Bissonnette, copropriétaire du Vignoble de Pomone, à Coteau-du-Lac. Selon cette entrepreneure, la disposition de la Loi sur la Société des alcools du Québec qui les oblige à livrer eux-mêmes leurs bouteilles aux détaillants est très néfaste pour le rayonnement des vins québécois dans les régions éloignées. Inévitablement, les commerces qui se trouvent à des centaines de kilomètres des vignobles ont plus difficilement accès aux produits d’ici.

« Pensez-vous que j’ai le temps d’aller livrer du vin en Gaspésie ? », demande Sylvie Bissonnette, qui trouve néanmoins le moyen d’y aller deux ou trois fois par année, même si l’opération n’est pas rentable pour son entreprise. Par souci d’équité, dit-elle.

Selon la Loi sur la Société des alcools du Québec, le titulaire d’un permis de production artisanale peut aussi demander à un de ses employés de prendre la route. Pour ceux qui ont des employés salariés.

Il est toutefois impossible de confier la livraison à un tiers, même si la commande n’est que d’une caisse ou deux, qu’elle provienne d’une petite épicerie du village voisin, d’une adresse qui se spécialise dans les vins locaux dans le quartier Rosemont à Montréal ou à Rouyn-Noranda.

« Un gars de Baie-Comeau vient d’avoir sa licence et aimerait pouvoir distribuer mes produits. Je ne peux pas aller retontir là-bas pour quatre caisses de vins », lance Sébastien Daoust, dont le vignoble Les Bacchantes se trouve à Hemmingford, à plus de 700 km de Baie-Comeau.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Sébastien Daoust, propriétaire du vignoble Les Bacchantes

Je suis supposé gérer de l’agriculture, gérer de la transformation alimentaire, gérer de la paperasse. C’est ça, ma job. Aller distribuer ? Je suis loin de mon domaine.

Sébastien Daoust, propriétaire du vignoble Les Bacchantes

La situation est telle que si Sébastien Daoust décidait de faire la route jusqu’à la Côte-Nord avec ses bouteilles, il ne pourrait pas apporter celles des producteurs de son coin en même temps pour être plus efficace. Chaque vigneron doit prendre son véhicule pour livrer ses bouteilles.

Durant les périodes de pointe, comme les vendanges, il est pratiquement impossible de quitter les vignes pour aller faire des livraisons, disent-ils. Même chose ces jours-ci où plusieurs terminent l’hivernation des vignes.

Bonne nouvelle : la situation pourrait s’assouplir.

« On a demandé au gouvernement de nous aider et de permettre la sous-traitance. On sent qu’on a de l’écoute du côté gouvernemental. On pense que ça va se régler dans les prochains mois. On est très optimistes », dit Louis Thomas, propriétaire du Domaine du Fleuve, à Varennes, et membre du conseil d’administration du Conseil des vins du Québec.

En fait, le projet de loi 44 proposait des allègements aux vignerons, mais il a été abandonné à la fin de la dernière session parlementaire, avant les élections.

Au ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, on confirme que le règlement est sous la loupe afin « d’accroître la compétitivité de l’environnement d’affaires et de stimuler le développement des producteurs de boissons alcooliques ».

La livraison des bouteilles aux points de vente par les vignerons est l’un des dossiers du secteur des boissons alcooliques faisant partie des discussions.

Jean-Pierre d’Auteuil, porte-parole du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie

Les vignerons précisent qu’ils ne veulent pas couper les ponts avec leurs partenaires commerçants, bien au contraire, mais ils souhaitent pouvoir distribuer par l’entremise d’un tiers. Ou accepter que des commerces viennent chercher les bouteilles au vignoble, précise Sébastien Daoust, qui est aussi trésorier du Conseil des vins du Québec. Un détaillant spécialisé pourrait se louer un camion et faire une tournée de vignobles pour ramasser le stock dont il a besoin, suggère-t-il.

« Ce qu’on voudrait, c’est pouvoir se mettre quelques vignobles ensemble pour faire la livraison », dit Sylvie Bissonnette, du Vignoble de Pomone, qui note au passage que lorsqu’elle veut avoir du vin de l’Ontario ou de la Nouvelle-Écosse, elle passe la commande en ligne et les bouteilles arrivent chez elle, par un service de livraison externe.