La hausse rapide des taux d’intérêt contraint les promoteurs parmi les plus en vue à Montréal à rectifier le tir pour s’ajuster aux conditions défavorables. Les cas de Brivia, Batimo, Devimco et Prével.

Aux prises avec des enjeux de liquidités, Groupe Brivia fait des pieds et des mains pour se refaire une santé financière. Cet important acteur du secteur immobilier songe à vendre des propriétés, à geler les salaires de ses employés, sabrer celui de ses cadres en plus de faire appel à un conseiller en redressement, a appris La Presse.

Ce sont les services de la firme PricewaterhouseCoopers (PwC) qui ont été retenus par le groupe dirigé par l’homme d’affaires Kheng Ly pour l’aider à trouver des pistes de solution à ses problèmes financiers. L’objectif est de cibler les sources possibles de liquidités dans l’actif de l’entreprise, nous a-t-on dit.

Dans un entretien, Vincent Kou, chef des investissements et du développement de Brivia, n’a pas voulu donner de détails sur le mandat donné à Philippe Jordan, de PwC. « En période de croissance, on travaille avec des consultants. En période plus difficile, on travaille avec des consultants », s’est-il contenté de répondre.

Le Groupe Brivia a été l’un des promoteurs les plus en vue à Montréal ces dernières années avec la construction de projets d’envergure comme le YUL et le QuinzeCent, sur le boulevard René-Lévesque Ouest, près du Centre Bell. Outre le 1 Square Phillips, Brivia poursuit la construction du Mansfield, voisin de l’édifice Sun Life. Brivia a aussi acquis des terrains à Griffintown et à Pierrefonds.

Recherche de financement à Tremblant

Un article de La Presse paru le 8 décembre faisait état des difficultés de Brivia. On y expliquait que le promoteur cherche activement un financement de construction pour lancer les 82 unités des phases 1 et 2 de son projet L’Hymne des Trembles au Versant Soleil de Station Mont-Tremblant.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le projet L’Hymne des Trembles au Versant Soleil de Station Mont-Tremblant a été mis sur pause en attendant la conclusion du financement pour la construction. Seulement trois fondations sont visibles des airs.

Brivia est en défaut du prêt de 12,5 millions consenti par Institutional Mortgage Capital en raison de l’inscription d’hypothèques légales de construction. Le prêteur a déposé début décembre un préavis de 60 jours pour exercer son recours hypothécaire sur la propriété de Tremblant.

« Depuis la semaine dernière, presque la moitié des fournisseurs s’est réglée, s’est réjoui M. Kou lundi. Les hypothèques légales vont être levées prochainement. On a bon espoir de régler les deux qui restent d’ici les prochains jours. Une fois les hypothèques légales radiées, nous ne serons plus en défaut avec IMC », précise-t-il.

Une propriété vendue et d’autres à venir

Il y a quelques jours à peine, Brivia a vendu la tour de 19 étages et de 178 appartements locatifs Le Stanbrooke au 2061, rue Stanley au torontois Fitzrovia. L’acquéreur paie 69 millions. L’immeuble construit en 2017 est évalué à 76,2 millions au rôle municipal.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR BRIVIA

Les 178 appartements du Stanbrooke, au 2061, rue Stanley, viennent d’être vendus pour 69 millions.

Brivia a aussi mis en vente la phase 2 de son projet LB9 au 7755, rue des Métis, dans le quartier Lebourgneuf, à Québec. « Actif multifamilial de première classe comprenant 218 appartements de luxe, LB9 Phase 2 est une tour nouvellement construite de 15 étages. La propriété a été livrée en mai 2023 et est actuellement louée à 65 % », lit-on dans la brochure publicitaire du courtier inscripteur Avison Young.

« Vendre un actif non stabilisé avec un taux d’inoccupation élevé n’est pas la façon optimale de maximiser sa valeur », confie un investisseur aguerri. Il ne veut pas être cité, ne connaissant pas bien la propriété.

« On a des partenaires qui ont exprimé le désir de vendre la phase 2 », rétorque M. Kou en ajoutant que d’autres phases sont prévues ultérieurement pour le projet LB9.

Brivia avait vendu la phase 1 du LB9, au 7615, rue des Métis, en janvier dernier pour 64,1 millions à un acheteur de Boisbriand.

« Dans le cas des propriétés locatives comme LB9 phase 1 et Stanbrooke, c’est tout à fait normal de vendre, explique M. Kou, au téléphone. On a des partenaires qui ont mis des fonds avec nous et qui ont un horizon de sortie une fois que l’actif est loué et stabilisé. Les investisseurs ne sont pas là ad vitam æternam. »

Par ailleurs, le groupe a reçu une offre non sollicitée pour le 7333-7401, rue Newman dans l’arrondissement de LaSalle, à Montréal. Il s’agit d’un centre commercial où se trouve un Super C. Brivia en est copropriétaire depuis août 2021 quand lui et son partenaire avaient sorti 70 millions pour l’acquérir. « Les discussions se poursuivent », dit M. Kou.

D’autres discussions ont lieu actuellement avec des tierces parties pour un des deux lots que la société détient sur l’avenue Bois-de-Boulogne, à Laval, ainsi que pour le terrain du projet Montmorency, à Québec, fait-il savoir.

On a beaucoup de terrains. À cause d’un contexte économique difficile, on n’est pas en mesure de tous les faire, nos projets. Il faut s’adapter au marché. Il faut analyser les offres non sollicitées que l’on reçoit.

Vincent Kou, chef des investissements et du développement du Groupe Brivia

Brivia a récemment imposé un gel de salaire temporaire à ses employés et proposé une réduction salariale aux membres de la direction. L’objectif vise à réaliser des économies à court terme et à limiter les risques de réduire l’effectif à nouveau. Brivia a licencié le quart de son effectif de 80 personnes au Canada en novembre. À Montréal, où se trouve son bureau principal, 18 salariés ont perdu leur emploi.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le 1111, Atwater, à Montréal

Licenciements chez des grands de l’immobilier

La hausse rapide des taux d’intérêt pousse les promoteurs immobiliers dans leurs derniers retranchements. Après des années d’argent facile, l’heure est aux décisions douloureuses.

Le Groupe EMD-Batimo vient de licencier 6 personnes dans ses divisions développement et construction parmi 106 employés.

« J’ai 51 ans et la précédente crise immobilière est survenue quand j’étais à l’université, dit son président Francis Charron. Avant 2022, pendant 15 à 20 ans, l’investissement immobilier, c’était comme grimper le mont Royal en sandales, image-t-il. Aujourd’hui, c’est rendu l’Everest. Le degré de préparation requis et les capacités ne sont pas les mêmes. Les conditions ont changé en un temps record et les gens n’ont pas eu le temps de se préparer pendant que leur projet avançait », dit-il.

« Pour être en mesure de respecter notre ratio de couverture de dettes sur le financement à long terme, poursuit M. Charron, il faut constamment rajouter de l’argent dans le projet en raison des taux d’intérêt élevés. C’est pour ça qu’il y a des congédiements. C’est pour ça que les nouveaux projets ne lèvent pas. C’était tout le contraire auparavant quand un refinancement représentait une occasion de monétiser l’équité dans l’immeuble et d’aller l’investir dans un nouveau projet.

« Il va y avoir beaucoup de turbulences en 2024 », prévient-il. Les constructeurs à qui ils parlent ne voient pas de reprise avant 2025.

Dans son cas, la mévente des condos à 2 millions et plus chacun à son projet du 1111, Atwater, à Montréal, a stoppé son élan. Seulement 5 unités ont été vendues sur les 25, après quatre ans. Les partenaires de Batimo sont Claridge, par le truchement de l’argent de la Caisse de dépôt, et la société Clarke de l’homme d’affaires George Armoyan. Celle-ci a racheté la part de High-Rise Montréal, une société de Philip Kerub en 2021.

Avec l’explosion des taux d’intérêt, il n’y a plus de condos neufs qui se vendent dans l’île de Montréal. Je parle aux autres constructeurs. Ça se vend un peu en deuxième et en troisième couronne, mais c’est tout.

Francis Charron, président du Groupe EMD-Batimo

M. Charron blâme aussi l’état déficient du centre-ville depuis la pandémie. Le moratoire de deux ans sur l’achat de biens immobiliers par les non-résidents a noirci un peu plus le portrait. « Nous avions une vente d’un penthouse à 17,5 millions, souligne-t-il. C’était un acheteur étranger. Quand le fédéral a passé la loi, nous n’avions pas eu le temps de finir toutes les vérifications puis la vente a été annulée. »

Outre les 25 condos luxueux, le 1111 Atwater comprend aussi 120 logements de soins aux personnes alzheimer et 208 appartements locatifs, dont 50 % sont loués. Le rythme des locations est de trois à cinq unités par mois, selon M. Charron. Les loyers s’échelonnent de 2000 à 4000 $ par mois.

Devimco et Prével n’y échappent pas non plus

Devimco a licencié autour de 20 personnes de son effectif à la mi-décembre, a appris La Presse. « On parle ici d’un nombre peu élevé de licenciements sur un total de 475 employés, relativise son porte-parole André Bouthillier, de la firme National.

« Devimco continue d’être le promoteur ayant le plus d’unités (copropriété et locatif) en chantier au Québec, soit 4500, comparativement à environ 600 pour le deuxième promoteur le plus actif », poursuit-il.

Devimco est l’entrepreneur derrière les projets Maestria, Square Children, à Montréal, et Solar Uniquartier, à Brossard, pour n’en nommer que quelques-uns.

« Comme nos collègues de l’industrie, nous sommes impactés par le marché. Voici les données concernant Prével : quatre postes ont été coupés et cinq départs n’ont pas été remplacés au cours de l’année 2023 en lien avec la conjoncture du marché. Les principaux départements affectés sont le marketing, les ventes et le service après-vente », fait savoir sa présidente Laurence Vincent, dans une déclaration écrite. Entre autres projets, Prével construit l’Esplanade Cartier, au pied du pont Jacques-Cartier.