Le projet de loi 31 qui doit modifier certaines dispositions des baux résidentiels suscite bien des critiques. Quand on interroge les intervenants des groupes ayant un intérêt dans le domaine de l’habitation, le portrait devient toutefois plus nuancé.

« Dans les solutions mentionnées dans le projet de loi, il y a du bon. Il y a du mauvais. Pour ce qui est des rénovictions, c’est très très bon », convient Patrick Préville, DG de la Fédération de l’habitation coopérative du Québec (FHCQ). Il était présent à un évènement mercredi matin regroupant des organismes qui demandent au gouvernement québécois d’agir pour contrer la crise du logement.

Rénovictions

« Il y a des ajustements qui tombent sous le sens, dit, de son côté, Adam Mongrain, directeur habitation de l’organisme Vivre en Ville. Il était présent au même évènement. [Le renversement] du fardeau de la preuve au niveau des évictions était quelque chose qui était dû. C’est intéressant que la personne qui a le plus à gagner [le propriétaire] ait le fardeau de la preuve. »

Le projet de loi vient harmoniser les dispositions régissant la reprise de logement, pour y loger le propriétaire ou ses parents, par exemple ; et l’éviction du locataire afin d’y effectuer des travaux majeurs.

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Adam Mongrain, directeur habitation de l’organisme Vivre en Ville

« Le gouvernement a voulu mettre reprise et éviction sous la même formule. Le locataire qui ne répond pas à un avis ne sera plus présumé l’avoir accepté », explique Marc-André Plante, directeur, Affaires publiques et Relations gouvernementales à la corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ).

Le projet de loi précise aussi les indemnités à verser en cas d’éviction. Ce sera un mois de loyer par année d’occupation jusqu’à un maximum de 24 mois, plus une somme pour couvrir le déménagement. Actuellement, l’indemnité prévue est de 3 mois et des frais raisonnables de déménagement. Le porte-parole des proprios ne s’en formalise pas.

« En ce moment, on se retrouve avec des histoires comme le Da Giovanni où la locataire demande un penthouse et 50 000 $ », cite-t-il à titre d'exemple. Il fait référence au projet de tour d’habitation de 176 logements face du parc Émilie-Gamelin qui est bloqué par une locataire qui refuse de quitter les lieux tant qu’on ne lui aura pas donné ce qu’elle exige.

Cession de bail

La disposition du projet de loi qui fait couler beaucoup d’encre est la possibilité donnée aux propriétaires de refuser la cession de bail. Actuellement, le seul motif sérieux pour refuser la cession de bail est l’incapacité de payer du cessionnaire (le repreneur du bail choisi par le locataire).

« Ça crée beaucoup de pression sur les locataires, la non-cession de bail. Je pense que les consultations de l’automne [sur le projet de loi] seront très intéressantes », dit Claude Pinard, PDG de Centraide du Grand Montréal qui fait jouer un rôle actif à l’organisme caritatif dans le dossier de l’habitation.

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Claude Pinard, PDG de Centraide du Grand Montréal

« Le pouvoir de choisir son locataire dans une situation où il y a plus de locataires que de logements disponibles, c’est une invitation à la discrimination, à sélectionner la personne qui offre le meilleur prix. Ça va devenir possible si la cession de bail est retirée », avance Adam Mongrain, de Vivre en Ville.

En dépit des modifications proposées sur la cession de bail, le locataire continue de disposer de deux pouvoirs pour résister aux hausses de loyer : il peut refuser toute hausse de loyer au renouvellement de son bail. De plus, il peut contester le loyer de son nouveau domicile devant le TAL dans les dix jours suivant la signature du bail.

Pour les propriétaires, le changement proposé est le bienvenu. Les règles actuelles permettent au locataire qui profite d’un loyer bon marché de vendre le bail à un tiers et d’accaparer une partie des revenus futurs du logement à la place du propriétaire.

« En 2021, 10 % des propriétaires étaient touchés par une cession de bail. Aujourd’hui on est rendu à 33 %. On voit une tendance à la hausse », soutient M. Plante de la CORPIQ.

Le régime actuel qui facilite la cession de bail contraint aussi le pouvoir de gestion du propriétaire-gestionnaire. « Dans un contexte où il n’y a pas de logement disponible, une cession de bail devient une occasion perdue de rénover le logement », dit M. Plante.

« Comme gestionnaire à but non lucratif à mission sociale, on veut pouvoir sélectionner nos locataires pour favoriser ceux dont les besoins sont plus grands, dit Laurent Levesque, DG et cofondateur de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE). Dans le projet de loi 31, on propose au gouvernement de mettre en place un régime particulier pour le logement étudiant à but non lucratif [notamment pour se soustraire aux dispositions sur la cession de bail et pouvoir ainsi sélectionner ses locataires] », précise-t-il.

Clause F et logements récents

Les logements de moins de cinq ans ne sont pas assujettis à l’autorité du TAL en matière de fixation de loyer. Le projet de loi maintient la période de grâce, mais demandera au propriétaire de communiquer au locataire la hausse maximale prévue au cours de la période.

Le but de la clause F est de couvrir des coûts que le promoteur ne connaissait pas quand il a élaboré son projet. Enlever cette flexibilité pourrait compliquer le financement de la construction de nouvelles unités.

« Il existe toujours un léger risque d’ajustement des charges à la suite d’une construction neuve, convient Laurent Levesque d’UTILE. Ce n’est pas mauvais de laisser une certaine fenêtre [aux ajustements]. Il y a une question de compromis. On était favorables à une réduction de la durée. On est aussi à l’aise avec la proposition qui est sur la table », fait-il savoir.

« C’est plus de transparence. C’est une meilleure option de le maintenir à 5 ans que de réduire le délai à 3 ans », renchérit M. Plante de la CORPIQ.