Le projet de loi en matière d’habitation déposé vendredi pourrait signifier la perte d’un levier contre les hausses de loyer abusives pour les locataires. Les représentants des propriétaires jugent plutôt que Québec corrige une dérive.

Une fois adopté, le projet de loi déposé par la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, permettrait aux propriétaires de refuser une demande de cession de bail « pour un motif autre qu’un motif sérieux ».

La cession de bail est l’une des seules mesures de contrôle des loyers dont disposent les locataires. Ces derniers peuvent transférer leur bail à une autre personne avant la fin des 12 mois prévus, protégeant le locataire suivant d’importantes hausses de loyer.

En pleine crise du logement, le projet de loi « ne règle pas le problème, en plus de mettre de l’huile sur le feu », explique le co-porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), Cédric Dussault.

« C’est un immense recul pour les locataires, on ne laissera pas ça passer », a affirmé le porte-parole de Québec solidaire en matière de logement et d’habitation et député de Laurier-Dorion, Andrés Fontecilla, par l’entremise d’un communiqué

« Ce n’est pas au locataire de contrôler la hausse du loyer pour la personne suivante », a lancé la ministre Duranceau en point de presse à Québec. Elle juge protéger le droit de négociation des propriétaires en accordant à ces derniers la possibilité de refuser la cession de bail sans passer par le Tribunal administratif du logement (TAL).

Cette histoire-là de cession de bail, ou de magasinage de baux entre locataires, c’est une entrave au droit de propriété des propriétaires.

France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation, en point de presse à Québec

Une victoire jugée insuffisante pour les propriétaires

Le gouvernement « rétablit les faits » en revenant en arrière sur la cession de bail, estime Martin Messier, président de l’Association des propriétaires du Québec (APQ). Lorsqu’elle a été réfléchie, cette mesure devait plutôt servir à protéger les propriétaires d’un non-paiement de loyer dans le cas où le locataire déciderait de partir avant la fin du bail.

« Ce sont les locataires qui ont détourné la fonction de la cession de bail », souligne le directeur des affaires publiques et des relations gouvernementales de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Marc-André Plante.

Pour Martin Messier, le projet de loi « laisse un goût amer », alors qu’il était prometteur. La position de Québec sur la cession de bail est « la seule nouvelle qui est correcte » pour les propriétaires. Pour la CORPIQ, le projet de loi est plus mitigé : il « vient éclaircir des tensions » sans pour autant répondre à tous les défis des propriétaires.

Propriétaires consultés, locataires ignorés

Le RCLALQ « n’est pas surpris » du contenu du projet de loi puisqu’il prétend avoir été absent des consultations, faute de réponse de l’adjointe parlementaire de la ministre, Chantale Jeannotte, qui avait invité les organismes communautaires à participer. Le plus grand regroupement de comités logement au Québec demande un gel des loyers afin d’assurer un réel contrôle.

« On n’obtient rien en plus d’accuser un recul », souligne Cédric Dussault. Pour leur part, l’APQ et la CORPIQ ont participé aux consultations qui ont mené à l’élaboration de ce projet de loi, mais notent l’absence de plusieurs de leurs recommandations, notamment en ce qui concerne la fixation des loyers.

Survol du projet de loi 31

Encadrer les évictions

Le fardeau de la preuve passera entre les mains du propriétaire dans les cas où le locataire ne répond pas à l’avis d’éviction. L’absence de réponse ne sera plus considérée d’emblée comme un consentement à l’éviction. Il en sera de même lorsqu’un propriétaire ne respecte pas ce qu’il a affirmé dans son avis d’éviction, notamment dans le cas d’une reprise de logement. Ce sera au propriétaire de démontrer qu’il a agi de bonne foi. Une plus grande indemnité est également prévue pour les locataires qui seront évincés, soit l’équivalent d’un mois de loyer par année selon le nombre d’années passées dans un logement.

La clause F

Les propriétaires d’immeubles neufs ne sont pas tenus de fixer le loyer du locataire durant les cinq premières années et peuvent exiger des hausses qui sont plus élevées que ce que prévoit le TAL. La clause F tiendra toujours, mais les propriétaires devront inscrire leurs prévisions d’augmentation dans le bail afin d’éviter les augmentations surprises. La ministre responsable de l’Habitation dit réussir à encourager les propriétaires à construire en permettant des hausses selon les coûts encourus, tout en augmentant la prévisibilité pour les locataires.

Reconstruction des HLM

Le projet de loi précise que les profits générés par la vente d’une habitation à loyer modique (HLM) devront être réinvestis dans la reconstruction des HLM. Robert Pilon, de la Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec, se dit satisfait de cette modification puisque la permission de démolition d’un HLM peut s’avérer « un couteau à double tranchant » lorsque des mairies souhaitent en chasser un de leur territoire. Bien qu’une « vigilance citoyenne » demeure nécessaire pour M. Pilon, l’ajout compris dans ce projet de loi est cohérent avec le Programme de rénovation des habitations à loyer modique annoncé mercredi par la Société d’habitation du Québec.