Le gouvernement Legault semble un peu surpris par l’ampleur de la réaction négative face à son projet de loi qui limiterait les cessions de bail entre locataires, et c’est mauvais signe.

Depuis leur élection, les caquistes sous-estiment le sentiment d’impuissance, et parfois de détresse, de ceux qui peinent à trouver un appartement à un prix raisonnable. La tendance se poursuit avec le projet de loi 31 déposé vendredi, quelques minutes avant la fin de la session.

La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a voulu envoyer un message rassurant juste avant la fête nationale du déménagement. Certaines failles du marché seront corrigées, promet-elle. Avec ce dépôt à la dernière minute, elle espère commencer l’étude du projet de loi dès la fin de l’été. Le but : le faire adopter d’ici à Noël pour qu’il entre en vigueur avant le renouvellement des baux.

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France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation, en compagnie de François Legault, en octobre 2022, lors de sa prestation de serment à l’Assemblée nationale

Mme Duranceau croit avoir trouvé le bon équilibre.

Pour aider les locataires, le fardeau de la preuve sera inversé lors des évictions. Si une personne ne signe pas l’avis, elle ne sera plus présumée consentante. De plus, le dédommagement augmente – il équivaudra au coût d’un mois de loyer pour chaque année passée dans le logement par le locataire évincé.

En contrepartie, les propriétaires font un gain. Ils pourront refuser qu’un locataire cède son bail à une autre personne.

Pourquoi ? La ministre a des arguments. Un propriétaire occupant a le droit de choisir qui vivra au-dessus de sa tête. Elle avance que des locataires vendaient carrément leur bail et détournaient ainsi le bien d’autrui pour en tirer de l’argent. Enfin, elle espère que cette mesure servira d’incitatif pour accélérer la construction de logements.

La même logique explique son encadrement timide de la « clause F », qui permet d’augmenter le loyer d’un logement neuf pendant cinq ans sans limite. Désormais, cette hausse devra être annoncée à l’avance. Mme Duranceau croit que cela facilitera une négociation juste.

C’est un raisonnement qui se tient, quand on voit l’habitation comme un marché. Le hic, c’est que ce marché est déséquilibré. Le taux d’inoccupation est à son plus bas depuis près de 20 ans. Les locataires peuvent négocier, mais ils le font un genou à terre, les mains jointes en prière.

Mme Duranceau a raison de dire qu’on doit régler le problème à la source en bonifiant l’offre. Bonifier comme dans : battre des records.

L’année dernière au Québec, il s’est construit presque cinq fois plus de logements locatifs qu’il y a une décennie. Malgré tout, ce rythme demeure insuffisant. Il faudrait le doubler. En effet, la demande sera énorme à cause de l’immigration et du prix des condos, qui fait en sorte que les gens restent plus longtemps locataires.

Hélas, les mises en chantier n’accéléreront pas. Au contraire, elles vont ralentir en raison du manque de main-d’œuvre en construction et des taux d’intérêt élevés.

Le déséquilibre s’aggravera. Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), le prix d’un loyer augmentera de 30 % d’ici 2025.

Mme Duranceau a fait quelques annonces notables, comme la sauvegarde lundi de 93 logements abordables au Manoir Lafontaine. Elle a aussi remplacé le programme AccèsLogis par le nouveau Programme d’habitation abordable, une décision mal reçue par le milieu communautaire à qui une partie du financement a échappé. On verra si la nouvelle mouture, qui sera dévoilée bientôt, remplira ses promesses.

Reste que les logements abordables et sociaux comptent pour le dixième des logements au Québec. Comme le souligne la ministre, les conditions de marché doivent inciter le privé à construire plus. Et pas n’importe quoi, idéalement…

Car regardez les annonces autour de vous, surtout dans les centres-villes. Vous verrez que les nouveaux logements sont souvent petits et chers. Ceux qui sont assez grands pour une famille demeurent rares. Même chose pour ceux qui ne coûtent pas une beurrée.

On revient à la notion de marché. Aux yeux de la ministre, le contrôle des loyers fonctionne. Vrai, le Tribunal d’accès au logement (TAL) prescrit des augmentations maximales chaque année. Or, elles ne sont pas toujours suivies. Depuis une décennie, le prix moyen d’un logement a grimpé de 44 %, soit nettement plus que les 10 % recommandés par le TAL.

L’écart s’explique en partie par l’arrivée de nouveaux logements. Il vient aussi des appartements où le locataire change. Le propriétaire en profite alors pour faire monter le loyer. Parfois, c’est en raison de travaux d’entretien – la majorité du parc locatif a été construit avant les années 1980. Dans d’autres cas, la hausse paraît arbitraire.

La SCHL a une statistique éloquente. L’année dernière, pour un quatre et demie dans la région de Montréal, si le locataire restait dans son appartement, la hausse moyenne était de 3,5 %. S’il s’agissait d’un nouveau locataire : 14,5 %. Les rénovations ne peuvent pas tout expliquer.

Des gens ne connaissent pas l’ancien prix du loyer, d’autres s’en rendent compte trop tard pour le contester ou n’osent pas le faire par crainte de perdre leur chez-soi. Et ceux qui tentent l’aventure affrontent de longs délais.

Voilà la toile de fond qui explique pourquoi la cession de bail est vue comme un mécanisme de dernier recours pour se prémunir contre un marché déséquilibré.

Mme Duranceau veut guérir le mal à la source, mais en attendant que cela se produise, elle arrache un des rares pansements qui réduisaient la douleur.