Comment les règles du pouce – et tous ces modèles de compartimentation des dépenses – peuvent nous aider. Ou pas.

On voit souvent passer ces graphiques qui nous disent assez précisément quelle proportion de nos revenus doit être consacrée à l’épargne et quelle autre aux dépenses de plaisir. Ces règles sont-elles utiles, universelles ou plutôt anxiogènes ?

À chacun sa recette

« Avoir des barèmes permet en quelques secondes de voir si on répond à certains critères », estime Béatrice Bernard-Poulin, autrice du livre Ça coûte encore plus cher, être un adulte !.

La règle du 50-30-20 est très répandue, probablement parce qu’elle est hyper simple.

Les revenus doivent être divisés en trois parts de tarte : la plus importante (50 %) est réservée aux besoins de base, le loyer (ou le prêt hypothécaire), l’épicerie, les comptes courants, les assurances et le transport. L’épargne compte pour 20 % – ce qui inclut la constitution d’un fonds d’urgence et le remboursement des dettes, s’il y en a. Finalement, il y a un généreux 30 % qui est là pour les autres dépenses non essentielles, allant des vacances au resto pour le dîner.

Les gens qui maîtrisent bien leurs finances trouveront peut-être ces barèmes infantilisants, puérils, mais pour quelqu’un qui repousse toujours le moment de faire son budget, ça peut être une façon de briser la glace.

« Quand on veut faire son budget pour la première fois, quand on n’a jamais pris le temps de regarder ses finances, on est souvent dépassé, poursuit l’autrice. Il y a tellement de choses qu’on croit devoir faire. Puis, on se compare au voisin et on croit que tous les autres ont compris plein de choses que l’on n’a pas encore comprises. »

Selon elle, un tel exercice enclenche inévitablement une réflexion sur ses finances, la gestion de son budget, ce qui ne peut pas être mauvais.

« Ça peut devenir une motivation positive, poursuit Béatrice Bernard-Poulin. Par contre, si on voit que c’est un stress plus qu’autre chose, il faut nous référer à nos chiffres à nous, à notre réalité. »

PHOTO MELANY BERNIER, TIRÉE DU SITE WEB DE BÉATRICE BERNARD-POULIN

Béatrice Bernard-Poulin

C’est bien beau, les règles, mais on a tous nos priorités, qui sont bien différentes de celles de nos proches.

Béatrice Bernard-Poulin, autrice du livre Ça coûte encore plus cher, être un adulte !

Angela Iermieri, planificatrice financière chez Desjardins Gestion de patrimoine, rappelle aussi que nos budgets doivent être réalistes. « Si on y va avec des normes comme le 50-30-20 et que ça ne fonctionne pas pour nous, on va se démotiver. Les études le démontrent : une fois que les gens ne sont pas motivés, ils arrêtent, mettent ça de côté, comme toute autre chose qu’on essaie d’entreprendre tout d’un coup. »

Conclusion : gérez vos finances de la façon qui vous convient le mieux. Si votre frère est un spécialiste de la Bourse, grand bien lui fasse. Si vous devez commencer par un graphique à barres pour démêler tout ça, ce n’est pas gênant, ça peut même être très utile de voir ses dépenses d’une manière très graphique.

Une comparaison, pas une compétition

« On dit qu’il faut investir dans des FNB, qu’il faut avoir le taux d’intérêt le plus petit sur la dette. Tout ça est vrai et super important, mais quand on parle avec des intervenants d’organismes communautaires et des gens sur le terrain, on réalise que la base, ça reste le budget », précise d’entrée de jeu le directeur du Laboratoire en éducation financière de HEC Montréal, Philippe D’Astous, qui rappelle que la moitié des Canadiens n’en fait pas.

Selon lui, que l’on ait des dettes ou pas, que l’on ait 32 ans ou 67 ans, comprendre où vont nos dépenses est une bonne pratique.

Toutes les applications disponibles (et il y en a beaucoup, notamment celles des institutions financières) rendent facile la segmentation des dépenses.

Philippe D’Astous conseille de jeter un coup d’œil à l’outil du planificateur budgétaire de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada. Il crée un portrait de nos dépenses par catégories et permet de comparer notre situation au « Canadien moyen » ayant un profil semblable au nôtre.

« On ne veut pas dire que le Canadien moyen a la bonne réponse, prévient Philippe D’Astous, mais, oui, on aime ça se comparer. »

Et si ces différences nous préoccupent, il y a de bonnes chances qu’elles deviennent matière à réflexion.

« Ça n’est pas tout le monde qui a les mêmes pointes de tarte, car nous n’avons pas tous les mêmes projets et les mêmes objectifs, tient à préciser Philippe D’Astous. Quelqu’un qui a 25 ans et qui veut devenir propriétaire d’ici 10 ans aura une portion pour l’épargne beaucoup plus importante qu’un autre. »

Même chose pour ceux et celles qui visent la retraite à 45 ans et qui mettent une grosse part de leurs revenus en épargne.

« C’est bien certain qu’il y a des règles de base, dit-il. C’est correct d’avoir des références, mais il faut comprendre qu’il y a des situations particulières. »

Dans ce buffet de conseils et de méthodes, Philippe d’Astous prévient que s’il y a une chose à éviter, c’est le discours moralisateur qui impose une règle universelle et nous donne envie de juger le voisin.

Des outils pratiques

Si on ne peut pas tout mettre dans des cases, il est quand même bon d’avoir des références en finances personnelles. Un exemple, le maximum à consacrer à son prêt hypothécaire. « Quand quelqu’un veut acheter une maison, il y a des maximums que l’on doit respecter », dit la planificatrice financière Angela Iermieri.

L’habitation ne devrait pas dépasser 32 %, 34 % ou 36 % du revenu brut, selon les ratios utilisés.

Angela Iermieri croit elle aussi que la planification financière et l’épargne sont des actes très personnels. « Mais on peut y aller avec un minimum : commencez avec 10 % des revenus nets, si vous êtes capable d’atteindre ça. […] Par contre, si quelqu’un a un objectif ou un projet à court ou moyen terme, il va falloir mettre les bouchées doubles. »

La même logique s’applique pour le fonds d’urgence : on évalue souvent cette réserve à l’équivalent de trois à six mois de dépenses. « Commençons avec les trois mois », dit Angela Iermieri, qui veut enlever la pression à ceux et celles qui voient cette réserve comme un but inatteignable.

D’après cette planificatrice, analyser ses dépenses permet de voir aussi ce qui ne va pas. Ce qui est une excellente chose.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Angela Iermieri, planificatrice financière chez Desjardins Gestion de patrimoine

C’est bon pour les gens qui n’ont jamais pris la peine de regarder pourquoi les fins de mois sont plus difficiles. Pourquoi ils n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs d’épargne. Pourquoi il y a toujours un solde sur la carte de crédit.

Angela Iermieri, planificatrice financière chez Desjardins Gestion de patrimoine

Des tartes qui changent !

On peut difficilement figer une planification financière : si une dette d’étude est enfin payée, on peut peut-être s’offrir des vacances cette année. À l’inverse, on doit parfois mettre la pédale douce sur les dépenses de plaisir, se casser un peu la tête pour garder le même niveau de vie en réduisant les sorties particulièrement onéreuses.

La planification est souvent un processus d’essais-erreurs. « Je m’étais mis 10 %, j’essaie ça six mois, illustre Angela Iermieri. Si je trouve que ça va bien, je continue ou j’augmente ; si c’est trop, on va faire autrement. »

La planificatrice financière conseille de faire des révisions de budget à tous les changements dans la vie, puisque les situations familiale, personnelle et professionnelle influencent grandement les catégories de dépenses et d’épargne.

Pour certaines personnes, il n’y a aucune chance que les dépenses de base représentent 50 % des revenus.

Si votre situation ne correspond pas du tout aux modèles proposés, demandez conseil, dit Béatrice Bernard-Poulin. « Une fois qu’on a mis les chiffres sur papier, la meilleure chose à faire est d’aller chercher les conseils d’un professionnel. » Surtout si les constats sont inquiétants.

« Quand on a de la difficulté, on peut se faire accompagner par un conseiller financier ou des ACEF », dit aussi Angela Iermieri.

Qu’est-ce que les ACEF ?

Les associations coopératives d’économie familiale sont des organismes qui proposent de l’aide pour établir un budget, peu importe le niveau de littératie financière. Il y en a pratiquement partout au Québec et on peut y recevoir, gratuitement, des conseils personnalisés, mais aussi souvent de la formation pour affronter sa peur des chiffres.