Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

L’un des concepts un peu nébuleux en finance personnelle est celui de la richesse.

Est-ce qu’on est riche parce qu’on gagne un gros salaire ? Parce qu’on vit dans une grande maison ? Parce qu’on roule en véhicule européen et qu’on envoie ses enfants à l’école privée ?

Il y a de nombreuses années, les chercheurs américains Thomas Stanley et William Danko ont voulu étudier les habitudes des gens qui avaient une valeur nette (actifs moins dettes) de plus d’un million de dollars. Ils voulaient savoir comment les Américains millionnaires travaillaient, dépensaient et épargnaient.

Pour mener leur étude, ils ont fait ce qu’on aurait tous fait : ils ont parcouru les États-Unis pour aller rencontrer des gens qui habitaient dans des quartiers chics.

Mais ils ont découvert quelque chose d’étrange.

« Bien des gens qui habitent dans des maisons coûteuses et qui conduisent des véhicules luxueux n’ont pas beaucoup de richesse, écrivent-ils dans leur succès de librairie The Millionaire Next Door. Et bien des gens qui ont de la richesse n’habitent même pas dans des quartiers chics. »

La richesse, écrivent les auteurs, n’est pas la même chose que le revenu. La personne qui touche un gros revenu, mais qui dépense tout, ne s’enrichit pas.

Stanley et Danko ont réalisé que la majorité des millionnaires américains habitent dans des quartiers de la classe moyenne. Ils roulent le plus souvent en Ford ou en Toyota – des véhicules payés comptant, et qui ont quelques années d’usure. Ils ne possèdent pour la plupart pas de bateau, et très peu de bijoux de valeur.

« La majorité des millionnaires vivent largement sous leurs moyens, écrivent Stanley et Danko. Malheureusement, la plupart des gens croient imiter les riches en dépensant immédiatement chaque entrée imprévue d’argent. »

Le seau et l’aqueduc

Je vous vois venir. « Oui, mais les vedettes sportives ? Ces gens gagnent des millions. Ils sont riches ! »

Pas nécessairement.

Pour l’expliquer, j’aime utiliser l’analogie du seau et de l’aqueduc.

Gagner un salaire, c’est utiliser un seau pour aller chercher de l’eau à la rivière. Si vous gagnez un gros salaire, vous pouvez transporter beaucoup d’eau dans votre seau. Et si vous gagnez un petit salaire, votre seau n’est pas bien grand, et vous transportez peu d’eau.

S’enrichir, c’est bâtir un aqueduc. Une fois votre aqueduc achevé, vous n’êtes plus obligé de vous déplacer : l’eau se rendra à vous.

Plusieurs vedettes sportives transportent d’immenses seaux d’eau. Mais peu prennent la peine de bâtir un aqueduc.

Un article de Sports Illustrated a rapporté il y a plusieurs années que 78 % des joueurs de la NFL et 60 % des joueurs de la NBA sont aux prises avec de graves difficultés financières après leur départ à la retraite. Pourquoi ?

Lisez l’article (en anglais) de Sports Ilustrated

Les joueurs surestiment la durée de leur carrière professionnelle, qui se termine souvent au bout de quelques années. Ils sous-estiment leur facture d’impôt. Ils ont un penchant pour les dépenses très visibles (maisons, véhicules, etc.), investissent mal et vivent souvent des difficultés financières à la suite d’un divorce.

L’an dernier, Robin Lehner, le gardien de but des Golden Knights, et sa femme ont fait faillite au Nevada, affirmant qu’ils devaient 50 millions à plus de 50 créditeurs.

Lisez l’article de CBC Sports (en anglais) concernant Robin Lehner

Pourtant, trois ans plus tôt, Lehner avait signé un contrat de 25 millions de dollars pour cinq ans avec les Knights. Il aurait dû être riche !

Mais un goût du luxe – dont une collection de serpents rares évaluée à 1,2 million –, ainsi que des investissements qui ont mal tourné, ont décimé sa fortune.

La richesse est invisible

Le train de vie, c’est facile, c’est ce qu’on voit. La richesse, c’est plus difficile, c’est ce qu’on ne voit pas.

Dans The Way to Wealth, son livre publié en 1758, l’inventeur autodidacte et homme politique Benjamin Franklin écrit :

« Le chemin vers la richesse, si vous désirez l’emprunter, est aussi simple que le chemin pour se rendre au marché. Il tient en deux mots : industrie et frugalité. Ne perdez ni votre temps ni votre argent, mais faites le meilleur usage possible de l’un et de l’autre. Celui qui obtient honnêtement tout ce qu’il peut obtenir, et qui économise tout ce qu’il peut économiser, deviendra certainement riche. »

Dans les faits, dès notre vingtaine, on fait le contraire. On augmente notre train de vie plus rapidement que nos revenus. Et donc, même si nos revenus doublent et triplent avec le temps, le stress financier ne disparaît jamais. Au contraire, il augmente.

La seule façon de briser ce cycle est d’avoir un tête-à-tête avec son ego.

L’auteur financier Andrew Hallam a une bonne définition de la richesse. « Si vous possédez des investissements qui vous versent chaque année sans travailler un revenu qui correspond à deux fois le revenu médian de l’endroit où vous vivez, vous êtes riche », écrit-il dans son livre Millionaire Expat.

Le revenu médian des ménages et des particuliers au Québec en 2021 était de 58 300 $. Donc selon cette définition, des placements qui pourraient générer 116 600 $ par année passivement feraient qu’une personne est riche.

Si on suit la règle du 4 %, qui montre qu’on peut décaisser 4 % par année d’un portefeuille de placements financiers diversifiés sans risquer de manquer d’argent pendant 30 ans, cela voudrait dire qu’il faudrait des actifs financiers (donc excluant la résidence principale) de 2,9 millions pour être considéré comme riche au Québec selon cette définition.

Plus difficile pour un avocat

Qu’est-ce qu’on peut retenir de la différence entre les revenus et la richesse ?

Je remarque que notre œil est un très mauvais guide pour déterminer la santé financière de quelqu’un. L’accès au crédit pour des choses comme un véhicule, des rénovations, des voyages fait en sorte qu’« avoir l’air riche » est plus facile aujourd’hui qu’à n’importe quel moment dans l’histoire.

Lorsqu’une personne a l’air riche, et qu’en plus elle touche de bons revenus, on peut être porté à croire qu’elle est un maître Jedi de l’argent. C’est possible. Toutefois, des dettes importantes et un taux d’épargne faible sont parfois la broche et le duct tape qui maintiennent les apparences.

Aussi, la richesse peut souvent être plus difficile à atteindre pour un avocat que pour un plombier. Pourquoi ? Parce que l’avocat peut sentir la pression de « maintenir les apparences ». Voiture luxueuse, chalet, restos, tuteur pour les enfants : tout ça brûle une grande partie du revenu.

Le plombier, lui, n’a pas à maintenir les apparences. Personne ne se soucie de sa maison ou de son véhicule. Cela lui donne l’occasion d’épargner une plus grande partie de ses revenus. Et potentiellement de s’enrichir plus rapidement et d’avoir beaucoup plus de flexibilité avec sa carrière, et ultimement de vivre moins de stress financier.

L’auteur Morgan Housel l’a résumé lorsqu’il a écrit : « Quand la plupart des gens disent qu’ils veulent être millionnaires, ce qu’ils veulent vraiment dire, c’est “j’aimerais dépenser un million de dollars”. Ce qui est littéralement le contraire d’être un millionnaire. »