Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

J’ai bien aimé répondre à votre courrier il y a quelques mois. Voici des réponses à des messages de lecteurs reçus depuis. J’en profite pour vous remercier de m’écrire – je lis chaque courriel, et je m’excuse de ne pas pouvoir répondre à tout le monde.

Commençons avec Ariane (nom fictif), qui vit à Montréal et subvient seule à ses besoins. « Je mets une certaine partie de mon salaire de côté, entre autres dans le but de devenir propriétaire. », dit-elle.

Ariane demande comment réagir lorsque des collègues lui proposent d’aller au restaurant le midi, mais qu’elle ne souhaite pas dépenser son argent de cette façon.

« Difficile de répondre “ce n’est pas dans mon budget” sans avoir l’air d’une pauvre malheureuse, dit-elle. Comment gérer ce genre de situations, dans un environnement où vivre en dessous de ses moyens n’est pas la norme admise ? »

En effet, la pression du groupe peut être parfois forte quand on cherche à moins dépenser. (Et je parierais que chacune des personnes qui applique cette pression informelle se décrirait comme hyper ouverte d’esprit. L’ouverture d’esprit disparaît vite lorsqu’il est question de sujets aussi émotivement chargés que l’argent et l’appartenance au groupe, mais je m’égare…)

Mon conseil serait de répondre que vous avez d’autres priorités dans votre vie pour le moment. Par exemple, vous dites que vous aimeriez devenir propriétaire. Pourquoi ne pas répondre que vous avez commencé à mettre de l’argent de côté pour une mise de fonds, que ce n’est pas facile et que les repas au resto ne sont pas au sommet de votre liste en ce moment ? Au passage, vous prenez un comportement mal accepté socialement (épargner), et vous le transformez en un comportement très valorisé (devenir propriétaire). Vous pouvez aussi ajouter que ça vous ferait plaisir d’aller manger avec vos collègues dans un parc, par exemple, pour que chacun puisse apporter son lunch (acheté ou fait maison). Ultimement, vous n’avez pas à vous justifier à outrance. La vie passe, les collègues changent. Pour reprendre la phrase de l’auteur David Foster Wallace : « Vous vous soucierez moins de ce que les gens pensent de vous lorsque vous réaliserez à quel point ils le font rarement. »

Ensuite, Amélie n’est pas impressionnée par les exemples que je donne dans cette rubrique. Elle ne les trouve pas réalistes.

« Dans votre dernier texte, vous disiez que c’est simple de débuter des économies de 400 $ par mois à partir de 25 ans, pour que ça puisse valoir 1 million des années plus tard. À part les jeunes qui habitent chez leurs parents (comme le jeune dans votre exemple…) et qui leur paient (ou ont payé) leurs études (contente pour eux), je crois que c’est loin d’être une normalité chez les jeunes de 25 ans de pouvoir faire de telles économies par mois ! Je trouve ça irréaliste. Aux études, avec des prêts et bourses (si tu es chanceux), un appart et tout le reste à payer, c’est souvent rare qu’il reste quelque chose à la fin du mois. Et c’est aussi rare qu’en début de carrière, on a de gros salaires pouvant permettre ces économies. »

Je suis d’accord : c’est rare qu’il reste quelque chose à la fin du mois. C’est vrai à 25 ans, mais c’est aussi vrai à 30 ans, 40 ans, 50 ans… C’est la vie qui veut ça.

Comme notre liberté financière est non négociable, j’investirais les 400 $ (13 $ par jour) en priorité au début du mois et non pas à la fin.

Chaque dépense est un choix et peut être optimisée. On peut avoir des colocs, déménager près de son travail et ne pas avoir besoin d’auto, n’acheter que ce qui est au rabais à l’épicerie, faire diminuer les coûts en cuisinant en grande quantité, etc.

Le truc est d’arrêter d’associer « dépenses » et « bonheur ». Les deux n’ont rien à voir. L’une des plus belles décennies de ma vie était ma vingtaine. C’est la décennie où j’ai dépensé le moins. Bien des gens diront la même chose.

Aujourd’hui encore, j’aime anéantir les frais inutiles. Par exemple, mon service cellulaire me coûte 9,20 $ par mois, taxes incluses (Public Mobile, le forfait coûte 15 $ par mois, mais plusieurs rabais peuvent s’ajouter au fil du temps). Et c’est un outil pour mon travail. Des dizaines de milliers de Québécois paient 8 ou 10 fois cette somme chaque mois pour leur téléphone, et n’y pensent même pas. Pour eux, c’est juste normal.

J’ai aussi une vie où je me déplace peu en voiture. Sans même y penser, j’économise environ 75 % par rapport aux dépenses en transport du ménage québécois moyen. Encore là, ce n’est pas un hasard. C’est voulu.

Appliquées à bien des aspects de la vie, ces décisions font de grosses différences. Je ne dis pas que la vie est facile, mais on vit à une époque où on a des options.

Terminons avec Laurence, qui n’a pas de question, mais qui a fait un sacré ménage dans ses finances, avec des résultats impressionnants.

« J’ai 25 ans, un bac en science de la consommation (j’ai payé moi-même mes études). J’ai acheté une voiture à crédit, elle me coûtait 450 $ par mois, et une fois qu’elle a été payée, j’ai mis le montant dans mon épargne et mes placements. Les 450 $ qui partent chaque mois depuis cinq ans, je ne les vois même plus, mais la satisfaction vécue, elle, je la sens ! J’ai depuis fait le choix de retourner vivre chez mes parents. Depuis un an, j’ai mon emploi post-études. Je mets maintenant 2100 $ (ceci inclut les 450 $) par mois de côté dans des fonds indiciels Vanguard, et le petit train est parti. Je ne sais pas quels seront mon ou mes grands projets, mais le capital pour me le permettre va être là ! En route pour les 100 000 $ de capital investi autour de janvier 2024. Merci encore de m’avoir éclairée, et de faire en sorte que j’épargne au lieu d’aller manger au resto que j’oublie le lendemain, ou dépenser sur des vêtements dont je n’ai aucunement besoin. »

Bravo, Laurence, d’avoir mis tout ça en place à un âge où je dépensais toutes mes payes, et que j’ignorais l’existence des fonds indiciels. Tes fondations financières solides feront de toi une extraterrestre (dans le bon sens du terme) dans une population stressée qui vit souvent au-dessus de ses moyens.

Maintenant, je te dirais bien qu’à 100 000 $, le temps est peut-être venu d’aller en appart, mais tu le sais déjà, et ça sonnerait dangereusement comme du mansplaining, alors je vais laisser faire.

Écrivez à Nicolas Bérubé