Les épisodes de météo extrême et l’inflation font exploser les coûts des sinistres

Tempêtes et tornades, inondations provoquées par des pluies diluviennes ou de soudaines fontes printanières, sécheresses et canicules donnant lieu à des incendies de forêt…

Alors que se multiplient les évènements de météo extrême, que nombre d’experts attribuent aux changements climatiques, les coûts des dommages sur les propriétés et les infrastructures de services continuent de grimper à des montants record d’une année à l’autre.

Pour les assureurs de dommages, ça se traduit par une augmentation considérable de la volatilité de leurs coûts en réclamations à la suite de sinistres.

Par conséquent, afin de maintenir leur santé financière, les assureurs resserrent la gestion de risque dans leur vaste portefeuille de contrats d’assurance de dommages. À commencer par des hausses de primes et un resserrement des conditions de renouvellement de couverture parmi leur clientèle d’assurés.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Maxime Poulin, vice-président exécutif et associé chez la firme de courtage Ostiguy & Gendron, spécialisée en assurance de dommages. Il est aussi membre du conseil d’administration de la Chambre de l’assurance de dommages.

« Est-ce que les propriétaires de biens vont continuer à payer plus cher pour leurs assurances dommages dans les prochaines années ? La réponse, c’est oui », affirme d’emblée Maxime Poulin, vice-président exécutif et associé de la firme de courtage Ostiguy & Gendron, spécialisée en assurance de dommages.

« Du point de vue des assureurs, il y a des augmentations minimales à aller chercher à cause de l’inflation. Réparer une résidence après des dommages d’intempéries ou des dégâts d’eau, ça coûte de plus en plus cher », souligne M. Poulin, qui est aussi membre du conseil d’administration de la Chambre de l’assurance de dommages.

« Par ailleurs, il y a de plus en plus de ces dommages liés à des intempéries plus graves qu’auparavant et attribuées aux changements climatiques, ajoute-t-il. Ces intempéries ne sont pas encore en nombre énorme, mais leur sévérité est plus importante d’année en année. »

« La tendance est claire depuis des années : des inondations, des incendies de forêt, des tempêtes de grêle, des tempêtes de vent et des épisodes de chaleur extrême de plus en plus importants – tous influencés par les changements climatiques – coûtent des milliards de dollars et mettent davantage de vies en danger », dit Celyeste Power, présidente et cheffe de la direction du Bureau d’assurance du Canada (BAC).

Par conséquent, partout au Canada, les assureurs multirisques voient déjà des signes indiquant que l’assurance de biens pourrait devenir moins abordable, et même indisponible dans certains cas.

Celyeste Power, présidente et cheffe de la direction du Bureau d’assurance du Canada (BAC)

Plus pour moins

De fait, les statistiques compilées par le BAC montrent que, jusqu’en 2009, le montant des pertes assurées se situait entre 250 et 450 millions de dollars par an. Mais au cours des 14 années suivantes, ces pertes se sont accrues vers une moyenne de 2 milliards de dollars par an.

L’an dernier, le montant des pertes assurées a atteint 3,1 milliards. Il s’agissait du troisième montant annuel en importance de l’histoire au Canada et du cinquième montant annuel consécutif à s’inscrire parmi le top 10 historique des pertes assurées.

Et pour l’année 2023, le bilan des dommages liés aux fortes intempéries printanières et aux incendies de forêt d’une ampleur sans précédent s’annonce encore très coûteux.

Les augmentations générales de primes à un rythme plus élevé que l’inflation sont là pour de bon.

Maxime Poulin, vice-président exécutif et associé de la firme de courtage Ostiguy & Gendron

« Après des années de hausses automatiques de l’ordre de 3 % à 4 % par an, on voit maintenant des hausses de primes jusqu’à 9 % ou 10 % chez certains gros assureurs. Je m’attends à voir bientôt des hausses de l’ordre de 15 % à 20 % de la part de certains assureurs en réponse à la forte hausse de leurs coûts de sinistres et au risque accru d’intempéries sévères dans plusieurs régions. »

Par ailleurs, au-delà des hausses de primes, Maxime Poulin s’attend à un resserrement continu des conditions de renouvellement des contrats d’assurance selon l’évolution du « profil de risque » de chaque propriété et autres biens assurés.

« Les assureurs posent beaucoup plus de questions et sont de plus en plus exigeants en matière de prévention du risque de dommages », avertit Maxime Poulin.

« Par exemple, ils peuvent réduire ou enlever des couvertures qui étaient auparavant offertes sans prime additionnelle. Ou ils peuvent demander des mesures de prévention de sinistre de la part du propriétaire de biens assurés avant de renouveler son contrat d’assurance avec des conditions relativement inchangées [prime, franchise, inclusions et exclusions]. »

Santé financière

Pendant ce temps, du point de vue financier, « des sinistres plus importants et plus fréquents liés aux conditions météorologiques continueront de faire monter les prix de l’assurance de biens à court terme », signale Nadja Dreff, vice-présidente principale et directrice du secteur des assureurs canadiens de la firme de notation financière DBRS Morningstar, à Toronto.

« Même si les assureurs de dommages au Canada ont relativement bien résisté jusqu’à présent à l’impact des incendies de forêt, des inondations, des vents et d’autres catastrophes naturelles, ils signalent néanmoins des pertes élevées au cours des six premiers mois de 2023 qui pourraient encore affecter leur rentabilité sur l’année complète », note Mme Dreff dans un récent rapport d’analyse des résultats à la mi-année des principaux assureurs au Canada dont les actions sont cotées en Bourse.

Parmi ceux-ci, la Corporation financière Intact, le plus gros assureur de dommages au Canada selon les revenus de primes (ce qui lui vaut une capitalisation boursière à hauteur de 33 milliards de dollars).

« En dépit d’une hausse des sinistres importants liés aux catastrophes et de l’inflation [des coûts de réparation], nous sommes bien placés pour protéger la rentabilité grâce à des mesures tarifaires mises en œuvre [hausses des revenus de primes] de l’ordre de 5 % à 6 % sur un an dans des conditions de marché favorables, tout en continuant à contrôler les coûts liés au traitement des sinistres », lit-on dans le récent énoncé d’Intact sur ses résultats du deuxième trimestre terminé le 30 juin.

Du point de vue des analystes boursiers, ces « conditions de marché favorables » aux hausses de revenus de primes chez de gros assureurs comme Intact est de bon augure pour leurs actionnaires.

« Pour compenser les coûts de sinistres plus élevés dus à des incendies majeurs et à des dégâts d’eau et des intempéries importants, qui affectent la rentabilité à court terme de sa division des assurances de biens, Intact est en mesure de hausser les tarifs et de prendre d’autres mesures pour atténuer le risque de problèmes structurels avec cette division », notait l’analyste Doug Young chez Desjardins Marché des capitaux dans une note aux investisseurs après l’annonce des résultats trimestriels d’Intact.

À la Financière Banque Nationale, l’analyste torontois Jaeme Gloyn a aussi constaté que « la division d’assurance des biens personnels chez Intact a été confrontée à des sinistres importants et plus graves qui ont entraîné des dommages plus coûteux » durant la première moitié de l’exercice 2023.

En contrepartie, a noté l’analyste, « la croissance des volumes de primes et une forte rétention de la clientèle actuelle donnent à la direction d’Intact la confiance nécessaire pour augmenter les tarifs [de primes] de manière à soutenir davantage le maintien du rendement financier en ligne avec son historique favorable depuis 10 ans ».

Un projet d’assurance inondation nationale au Canada ?

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ville de Baie-Saint-Paul a été durement éprouvée par les inondations au début du mois de mai.

Le Canada devrait-il se doter d’un programme national d’assurance inondation devant la menace croissante des évènements de météo extrêmes ?

En tout cas, c’est la proposition avancée par le principal regroupement d’assureurs de dommages, le Bureau d’assurance du Canada (BAC), auprès des autorités fédérales depuis 2019.

Quatre ans plus tard, alors que les évènements de météo extrême augmentent à vue d’œil, la proposition est encore à l’étude entre le fédéral et les autres parties prenantes.

À la direction du BAC, on demeure confiant envers l’avènement d’un programme national d’assurance inondation « d’ici deux ans ».

« Les phénomènes météorologiques violents augmentent d’année en année, et les Canadiens à haut risque d’inondation méritent d’avoir accès à une protection. Entre-temps, la réalité est que la disponibilité de l’assurance contre les inondations reste limitée dans les zones devenues à risque d’inondations, et que de nombreuses propriétés canadiennes ne sont pas assurables », affirme Craig Stewart, vice-président aux changements climatiques et aux questions fédérales du BAC.

« Notre proposition d’un programme national d’assurance inondation vise à garantir que tous les propriétaires, quel que soit leur risque, puissent avoir accès à une assurance inondation à coût abordable.

« Une fois établi, nous savons que ce sera un grand pas en avant et que ce sera essentiel pour aider à protéger les propriétaires de maison à travers le pays qui sont considérés comme à risque d’inondation. »