Martine* s’apprêtait à prendre sa retraite quand elle a appris que des vices de construction allaient entraîner des travaux de 200 000 $ à son condo. Ouille.

La situation

C’est un « revirement du destin », dit Martine.

La Montréalaise de 60 ans espérait prendre sa retraite à la fin de l’année. Mais l’édifice financier de sa retraite est secoué par l’édifice encore plus fragile où elle habite.

« J’ai acheté un condo en 2012, au montant de 340 000 $, et qui se révèle avoir une multitude de vices de construction », relate-t-elle.

« C’est une construction qui date de 2009. Ça a commencé par une infiltration d’eau. Et finalement, plus ça avançait, plus on engageait des gens pour faire des expertises, et plus ils voyaient qu’à tous les niveaux, il y avait eu des lacunes. »

Le coût des travaux est estimé à 1,3 million de dollars pour un édifice de huit logements. « Pour l’instant ! Ces évaluations datent de trois ans déjà. »

Sa part des travaux s’élèverait à plus de 200 000 $.

« Les travaux seront faits au printemps 2024. Je suis donc toujours au boulot, et ce, malgré moi. Je devrai vider le condo pour six mois – la durée des travaux –, me louer un appartement et revenir ensuite. Des poursuites sont en cours, mais s’il n’y a pas d’entente à l’amiable, il faudra compter plusieurs années avant de voir la couleur des gains. S’il y en a ! Je ne peux donc pas compter sur d’hypothétiques montants pour faire mon scénario de retraite. »

Martine travaille pour une société parapublique depuis bientôt 20 ans. « Évidemment, je n’aurai pas atteint les années nécessaires pour maximiser la rente de mon employeur », constate-t-elle.

Elle vit avec son conjoint de fait, qui n’est pas propriétaire du condo. « Je serai donc seule à assumer la suite. Je serre la vis depuis plus de trois ans, afin d’amasser le plus de fonds possible. »

Son appartement, d’une valeur d’environ 410 000 $, est entièrement payé.

« J’ai réussi à mettre assez de sous de côté pour essayer de réduire le plus possible le prêt hypothécaire que je serai obligée d’aller chercher pour les travaux », indique-t-elle.

« Mais comment est-ce que je vais procéder ? Comment vais-je faire un décaissement en même temps que je vais payer une hypothèque si je prends ma retraite dans la prochaine année ? »

Elle aimerait cesser de travailler en décembre 2023. Son salaire continuerait de lui être versé pendant 10 mois, le temps d’épuiser ses journées de maladie accumulées.

Elle estime sa rente de retraite à 35 000 $ à 61 ans.

« Mon train de vie actuel est environ 40 000 $. Ce montant risque d’être le même à la retraite. Je suis présentement en télétravail à presque 100 %. »

Ce train de vie est indépendant de son conjoint, qui prendra lui-même sa retraite cette année. Une incitation de plus à prendre la sienne…

« Il me tarde de quitter mon emploi où je ne suis plus vraiment heureuse », constate-t-elle, pensive.

« J’aimerais beaucoup connaître votre avis sur cette question qui me pèse terriblement et qui assombrit mon avenir. »

Les chiffres

Martine, 60 ans

  • Revenus en 2022 : 103 794 $
  • Régime enregistré d’épargne-retraite (REER) : 236 932 $
  • REER dans un fonds de travailleurs : 40 000 $
  • Compte d’épargne libre d’impôt (CELI) : 101 083 $
  • Certificat de placement garanti (CPG) 1 an ferme : 81 000 $
  • Valeur du condo : 408 000 $
  • Aucun solde hypothécaire

La réponse

Le chemin de croix de Martine ne sera pas si douloureux qu’elle le croyait.

L’analyse effectuée par Sara Ducharme, conseillère principale en gestion de patrimoine chez Desjardins, propose en quelque sorte un revirement au revirement de destin annoncé par notre lectrice.

Assistée par son collègue Jérémie Côté, conseiller en gestion de patrimoine, Sara Ducharme a pourtant posé l’hypothèse du pire : Martine devra débourser les 200 000 $ sans compensation. Pour ce faire, elle lui recommande de refinancer son condo pour la valeur des travaux.

« C’est sûr qu’habituellement, on conseille aux gens de ne pas avoir de dettes à la retraite. C’est l’idéal, mais il y a plusieurs situations, comme celle que vit Martine, où il y aura des dettes, et pour lesquelles nous recommanderons des stratégies financières. »

« Son condo vaut quand même plus de 400 000 $ », indique-t-elle.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jérémie Côté, conseiller en gestion de patrimoine, et Sara Ducharme, conseillère principale en gestion de patrimoine, tous deux chez Desjardins

Elle suggère à cet effet une marge de crédit hypothécaire, dont la flexibilité laisserait place à d’autres projets, si Martine le jugeait nécessaire. Un terme de deux ou trois ans lui permettrait de « voir comment les taux d’intérêt vont réagir dans les prochaines années ».

Aux fins de ses calculs, Mme Ducharme retient un taux de 5,5 %. Avec un emprunt de 200 000 $, il se traduit par une mensualité de 1220 $ pendant 25 ans.

Martine détient présentement une somme de 81 000 $ immobilisée dans un certificat de placement garanti (CPG) d’un an. Avec cette somme, dès qu’elle sera disponible, la conseillère « lui recommande de faire une remise en capital. Son rêve est de prendre sa retraite dès cette année. Il faut avoir le moins de paiements possible si on veut être capable de soutenir notre coût de vie ».

Elle planifie deux remises de capital de 15 % (le maximum annuel généralement autorisé) dans les deux années suivantes.

Martine pourra ainsi réduire sa dette de 30 000 $ pour chacune de ces deux années, pour la faire passer sous 140 000 $ d’ici trois ans.

« Ça fait réduire l’amortissement de 13 ans, sans compter les intérêts économisés », fait valoir Sara Ducharme.

Pour effectuer les versements hypothécaires, elle suggère de puiser dans le compte d’épargne libre d’impôt (CELI), dont les retraits sont exempts d’impôts. Ainsi, « Martine ne sera pas obligée de dégager des revenus supplémentaires pour faire ses paiements hypothécaires », souligne-t-elle.

Avec le rendement de 4 % que la conseillère applique à tous les placements de Martine, le CELI, dans lequel elle détient présentement 100 000 $, demeurera confortablement garni lorsque l’emprunt hypothécaire sera soldé.

Mais pourquoi ne pas avoir utilisé directement la somme détenue en CELI pour les travaux ?

« J’ai validé cette option lors du montage des scénarios du plan financier de Martine, mais à 95 ans, il lui restait moins d’actifs que dans le scénario que nous avons présenté, soit environ 36 000 $ de moins, explique Sara Ducharme. De plus, je préférerais laisser le CELI s’accumuler à l’abri de l’impôt pour les sommes qui ne seront pas utilisées pour les paiements hypothécaires. »

Assurer ses arrières

On ne connaît pas les intentions de Martine, mais sans doute ne voudra-t-elle pas léguer des dettes à ses héritiers, en cas de décès précoce. « Quand on prend un financement hypothécaire, surtout à la retraite, on recommande de l’assurer », avise la conseillère.

Comme Martine l’envisageait déjà, la conseillère suppose qu’elle prendra cette retraite dès cette année. Les 10 premiers mois seront couverts par ses congés de maladie accumulés.

Son régime à prestations déterminées, « qui l’aide vraiment dans ce scénario », lui vaudra une rente de 33 380 $ par année.

De sa prise de retraite jusqu’à son 65anniversaire, une rente de raccordement de 9372 $ s’y ajoutera, en attendant le versement de la rente du Régime de rentes du Québec (RRQ), prévue à 65 ans.

Puisque son équilibre budgétaire n’en dépend pas, Martine ne devrait pas demander la rente de la RRQ avant 65 ans, pour éviter la réduction de 0,5 % à 0,6 % par mois d’anticipation.

À 65 ans, la rente de son régime et les rentes publiques lui procureront des revenus bruts de 57 000 $ qui, même après impôts, suffiront à couvrir son coût de vie de 40 000 $.

À 71 ans, son REER sera transféré en fonds enregistré de revenus de retraite (FERR), duquel elle devra faire des décaissements obligatoires. Son coût de vie étant alors presque entièrement couvert par ses rentes, Martine devrait se contenter de faire les retraits minimums.

« Avec toutes ces stratégies, Martine peut prendre la retraite souhaitée, pourra faire les travaux sur son condo en temps voulu, et en plus, sa situation sera juste bonifiée si elle gagne sa cause concernant les vices cachés », croit notre conseillère.

Elle estime qu’à 95 ans, Martine conservera encore des réserves de près de 570 000 $, en plus du condo qu’elle ne « vend même pas ». S’il ne s’est pas effondré entre-temps.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, le prénom utilisé est fictif.

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