Les époux Jean*, 75 ans, et Marie-Josée*, 61 ans, mènent une vie active et s’offrent quelques voyages. Ils sont bien établis en matière de patrimoine financier et de revenus de retraite.

La situation

Jean est copropriétaire (50 %) avec sa sœur du triplex d’une valeur d’environ 1,2 million de dollars où ils résident dans leur logement respectif. Le troisième logement est occupé par l’un des deux fils de Jean.

Pour planifier sa succession, Jean envisage de racheter la part de sa sœur afin de la partager ensuite entre ses deux fils. Ils deviendraient alors copropriétaires (25 % chacun) du triplex avec leur père Jean, qui prévoit y demeurer copropriétaire (à 50 %) et y résider avec sa femme aussi longtemps que possible.

Pour financer l’achat de la part de propriété du triplex, à un prix qu’il estime autour de 600 000 $, Jean prévoit contracter une nouvelle hypothèque sur la valeur du triplex.

Il projette ensuite d’inscrire ses deux fils sur le prochain acte de propriété du triplex, en remplacement de sa sœur, afin d’officialiser leur statut de copropriétaires.

Quant au remboursement de l’hypothèque, Jean projette d’établir des ententes de paiement avec ses deux fils, dont les montants seraient modulés au fur et à mesure de leur capacité budgétaire.

« Avec un tel plan de transfert de propriété, je pense pouvoir réaliser deux objectifs de planification successorale », indique Jean à l’occasion d’une conversation avec La Presse.

« D’une part, ça permettrait de garder ce triplex dans le patrimoine familial. D’autre part, ça nous permettrait, à ma femme et moi, de sécuriser notre situation de copropriétaires en gestion familiale avec mes fils. »

Jean cherche donc conseil sur la faisabilité de son projet de transfert de copropriété. En cas de doutes de l’avis de l’analyste-conseil, quelles solutions de rechange pourraient être considérées ?

Les chiffres

Jean*, 75 ans

Actifs financiers :
– en FERR : 240 000 $
– en CELI : 38 000 $
– en dépôt à terme et compte d’épargne : 37 000 $

Actifs non financiers :
– part de 50 % du triplex résidentiel familial : env. 600 000 $
– biens de collection : env. 150 000 $

Aucun passif de dette

Revenus annuels : env. 71 000 $
(rentes de retraite [régime de retraite d’emploi, RRQ provinciale, PSV fédérale], retraits de FERR, travail autonome, part de revenu net de triplex)

Marie-Josée*, 61 ans

Actif financier :
– en REER : 87 000 $

Actif non financier :
– condo en location : env. 320 000 $

Passif :
– solde de prêt hypothécaire du condo : 150 000 $
– solde de marge de crédit (à 8,5 %) : 4600 $

Revenus annuels : env. 45 000 $
(rentes du RREGOP [secteur public québécois], revenu net de location du condo)

Train de vie du couple d’aînés : env. 60 000 $ par année
(débours de résidence, de style de vie, d’aide budgétaire aux proches, etc.)

La situation et les questions de Jean ont été confiées à François Bernier, qui est notaire de profession et directeur de la planification fiscale et successorale pour l’est du Canada à la Financière Sun Life.

Les conseils

« J’ai des réserves envers ce projet qu’il veut faire au bénéfice de ses deux fils », indique d’emblée François Bernier en entretien avec La Presse.

« Considérant les coûts financiers et fiscaux engendrés par ce projet de transaction, d’autant qu’il concerne un actif immobilier dont le rendement financier serait ensuite très faible, il faut se demander si cette transaction serait vraiment avantageuse pour tous ses intervenants. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

François Bernier, notaire de profession et directeur de la planification fiscale et successorale pour l’est du Canada à la Financière Sun Life

En coûts de financement hypothécaire, par exemple, François Bernier estime aux environs de 2700 $ par mois (ou 32 400 $ par année) le montant minimal des paiements sur un prêt de 600 000 $ sur 20 ans, à un taux d’intérêt initial de 5,7 %.

« Selon leur budget courant, Jean et sa femme auraient les moyens d’assumer seuls ces paiements hypothécaires en cas d’insuffisance financière des deux fils, en tant que nouveaux copropriétaires du triplex », explique M. Bernier.

« Mais que se passerait-il en cas d’un soudain changement de la situation budgétaire des parents en raison, par exemple, de problèmes de santé qui feraient cesser le revenu de travail autonome, tout en générant de nouveaux coûts de services d’aide à domicile ou en résidence ? »

« Dans une telle situation, est-ce que les deux fils auraient les moyens financiers d’assumer les paiements hypothécaires en entier ? Et sans risquer de compromettre leurs autres projets ou priorités dans leur vie personnelle ? », questionne M. Bernier.

Le projet envisagé par Jean en faveur de ses deux fils impliquerait des coûts fiscaux significatifs sur la valeur marchande de cet actif.

Il faut s’attendre à des frais de mutation immobilière (ou « taxe de bienvenue » en langage populaire) de l’ordre de 7600 $, prévient notre expert.

De plus, François Bernier estime aux environs de 19 000 $ la note d’impôt à payer sur le gain en capital généré par la « disposition à juste valeur marchande » de la part de copropriété du triplex familial qui serait léguée par Jean à ses deux fils.

Premier scénario

Cela dit, quelles sont les solutions pour appuyer le souhait de Jean de conserver le triplex dans le patrimoine familial, tout en atténuant les risques de complications financières ?

M. Bernier suggère d’abord à Jean d’établir avec sa sœur copropriétaire du triplex une « convention d’indivision » dans laquelle ils pourraient définir d’avance les principaux paramètres d’une éventuelle transaction de leur part de la propriété.

Une telle convention d’indivision leur permettrait de mieux préparer un éventuel changement de leur relation de copropriétaires du triplex, selon l’évolution de leur situation personnelle et familiale. « Par exemple, en incluant une clause de “droit de premier refus” de chaque copropriétaire en cas de mise en vente par l’un des deux, précise François Bernier, le copropriétaire non vendeur pourrait s’assurer ainsi d’un certain contrôle sur ce changement de propriété. Et surtout si ça devait impliquer un acheteur externe à la famille. »

L’ajout d’une clause de type « shotgun » dans le jargon d’affaires pourrait être utile dans une nouvelle convention d’indivision de copropriété entre Jean et sa sœur. Une telle clause, résume M. Bernier, pourrait signifier qu’en cas de divergence d’opinions entre Jean et sa sœur sur la mise en vente ou non de leur part de propriété du triplex, le copropriétaire vendeur pourrait forcer l’autre à racheter sa part à sa juste valeur marchande courante.

Second scénario

Enfin, comme autre solution de rechange à la transaction relativement complexe et coûteuse envisagée par Jean au bénéfice de ses deux fils, François Bernier suggère de considérer plutôt le versement de contributions à de nouveaux comptes CELIAPP (compte d’épargne libre d’impôt pour l’accession à une première propriété, annoncé lors du budget fédéral 2022 et qui sera en vigueur le 1er avril) de ses deux fils.

En attendant de clarifier la suite de la copropriété du triplex familial, ainsi que l’évolution de leur style de vie, une contribution aux CELIAPP des fils « serait un geste très efficace en matière de rendements fiscal et financier à moyen terme » dans le patrimoine familial.

En préparation ces semaines-ci, le lancement des comptes CELIAPP dans les institutions financières prévoit des dépôts jusqu’à un maximum de 8000 $ par année ou 40 000 $ à vie, dont le rendement au fil du temps et les retraits futurs pour l’achat d’une première propriété résidentielle seront exempts d’impôt.

« Dans leur situation budgétaire courante, les époux Jean et Marie-Josée auraient les moyens de verser quelques milliers de dollars par année aux CELIAPP de leurs deux fils », signale François Bernier.

De plus, il s’agirait d’une solution moins contraignante et plus efficace de contribuer à la constitution d’un avoir immobilier des deux fils, plutôt que d’entamer un processus complexe et coûteux de transfert de part de triplex par un rachat avec financement hypothécaire à taux élevé.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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