Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici le dimanche.

J’ai eu un problème de fuite récemment avec le robinet de ma salle de bains.

Je suis allé en parler à John, le colosse de 6 pieds et 200 livres qui rénove la cuisine de mon voisin. Une heure plus tard, John était étendu sur le plancher de ma salle de bains, le visage caché sous le lavabo.

« Je pense qu’il va falloir changer le robinet », a-t-il lancé.

Trente minutes plus tard, le nouveau robinet était installé et John redescendait l’escalier avec sa caisse d’outils en me souhaitant une bonne journée.

Il ne m’enverra pas de facture pour son travail, ou pour les pièces installées. Je ne reçois jamais de facture pour les travaux qu’il effectue.

Bonjour, je m’appelle Nicolas et je suis locataire.

Je fais l’intéressant avec mon histoire de robinet. Mais la vérité, c’est que ce n’est pas toujours agréable de dire qu’on est locataire.

Au Québec, être locataire passé l’âge de 25 ans est à peu près aussi accepté socialement que d’avoir une maladie vénérienne. Être locataire quand on est parent est pratiquement vu comme de la maltraitance.

Pourtant, 60 % des citoyens de ma ville, Montréal, sont locataires. Au Québec au complet, nous sommes 40 % environ à louer notre logis. C’est un peu plus qu’en France (35 %), mais moins qu’à Hong Kong (44 %), qu’en Allemagne (50 %) ou qu’en Suisse (58 %).

Si vous me permettez de faire de la psychologie à deux cents, je dirais qu’être locataire est surtout mal vu au Québec depuis une quinzaine d’années. Soit depuis que les prix de l’immobilier résidentiel ont vraiment commencé à monter au fur et à mesure que les taux d’intérêt ont chuté.

Peu à peu, la société a décidé que le but de l’existence était de posséder une maison. Et donc comme locataire, non seulement on ne possède pas de maison, mais on ne travaille pas non plus activement à en payer une.

Comme si la plus importante partie de hockey de notre vie était en train de se jouer, et que non seulement nous ne sommes pas sur la glace, nous ne sommes même pas dans l’aréna.

Cela a provoqué des glissements jusque dans le langage. Par exemple, un jeune couple ne dira plus qu’il a déménagé à Rosemont : il dira qu’il a « acheté » à Rosemont.

« Acheter » est un badge d’honneur. Le signe qu’on est adulte, qu’on prend nos responsabilités, qu’on s’enrichit.

Même si je n’ai pas l’intention de déménager, euh, pardon, d’acheter, je fais parfois le calcul pour comparer la location et l’achat. Chaque fois, j’en arrive à la même conclusion : louer à un prix raisonnable est plus payant que d’acheter le même logement, surtout dans un marché cher comme Montréal.

Comment est-ce possible ? Votre mère vous l’a pourtant répété : « Louer, c’est jeter de l’argent par les fenêtres ! »

Tout le monde jette de l’argent par les fenêtres.

Comparer le montant d’un loyer avec le montant des paiements hypothécaires est une erreur de débutant. Un loyer, c’est le maximum que l’on paie pour se loger, tandis qu’un paiement hypothécaire, c’est le minimum que l’on paie pour se loger.

Il faut y ajouter la taxe scolaire, les taxes municipales, l’assurance, le fonds de prévoyance, l’entretien, les rénovations… Sans oublier l’éléphant dans la pièce : le coût de renonciation sur les sommes déboursées, qui auraient pu servir à acquérir des actifs financiers, historiquement beaucoup plus payants que l’appréciation de l’immobilier résidentiel.

Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que des personnes dans mon entourage, de même que plusieurs lecteurs, ont l’impression qu’ils doivent absolument devenir propriétaires pour espérer s’enrichir. La récente hausse des taux d’intérêt leur donne du stress : ils songent à faire l’achat d’un logement, mais les chiffres n’arrivent tout simplement plus.

Une vieille règle dans l’immobilier dit qu’un prix d’achat bon marché correspond à 10 fois le loyer annuel que pourrait générer la location du même logement. Un prix équilibré représente 15 fois le loyer annuel, tandis qu’un prix d’achat trop élevé correspond à 20 fois le loyer ou plus.

Par exemple, un logement qui se loue 2000 $ par mois (donc 24 000 $ par année) se vendrait bon marché à 240 000 $, de façon équilibrée à 360 000 $ et à 480 000 $ dans un marché surévalué. À Montréal, on est assurément dans la troisième option.

Acheter un condo de 480 000 $ avec une mise de fonds de 10 % et un taux d’intérêt de 5,5 % sur cinq ans donne des versements mensuels de 2637 $. De cette somme, 1858 $ par mois, ou 70 % du total payé durant ces cinq années, servent à payer les frais d’intérêt du prêt. Si vous pouvez louer un logement à 1858 $ par mois, économiser 779 $ et l’investir dans des placements financiers, vous vous enrichirez.

Mon conseil : si vous louez pour un montant raisonnable et que vous aimez votre situation, n’y changez rien. Utilisez la différence entre votre loyer et ce que vous auriez payé pour être propriétaire et entretenir votre logis, et remboursez vos dettes si vous en avez, ou contribuez à vos placements financiers.

Beaucoup de propriétaires se sont enrichis avec la hausse des prix de l’immobilier depuis 20 ans. Mais, pour poursuivre mon exemple, entre l’âge de 25 ans et de 65 ans, un locataire qui mettrait l’équivalent d’une mise de fonds de 48 000 $ dans un portefeuille équilibré composé de FNB indiciels, puis ajouterait 779 $ par mois, finirait avec un portefeuille de plus de 2 millions à l’aube de la retraite.

Pas mal pour quelqu’un qui jette son argent par les fenêtres.

La question de la semaine

Songez-vous à acheter ou à vendre de l’immobilier au cours de la prochaine année ?

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