Après des gels printaniers dans plusieurs régions et un été très pluvieux, les vignerons québécois ont terminé les vendanges sur une note positive : le millésime 2023 sera bon, voire excellent dans plusieurs domaines.

Le temps des réjouissances a été de courte durée : Québec travaille sur un projet de loi qui leur laisse un goût amer. Très amer.

Leur lourd fardeau administratif devait être réduit, fruit de plusieurs promesses faites au cours des quatre dernières années, mais qui ne seront finalement pas tenues, disent les représentants de cette industrie.

« Nous sommes des entrepreneurs, la charge administrative nous fait bien plus mal que la météo, dit le vigneron Louis Denault. La météo, on s’y fait, mais la charge avec ce gouvernement-là, c’est atroce. Ça va tuer l’entrepreneurship au Québec. »

Louis Denault est président du Conseil des vins du Québec. Il a travaillé de près avec Québec. « Ça fait quatre ans qu’on est consultés par des sondages, des réunions, des mémoires », dit-il.

On nous assurait une grande réforme, de grands changements, et ils nous pondent un projet de loi dans lequel il n’y a rien pour nous.

Louis Denault, copropriétaire du Vignoble Sainte-Pétronille et président du Conseil des vins du Québec

Le projet de loi 17 (sanctionné le 27 octobre dernier) n’a pas fait les manchettes. Son nom : Loi modifiant diverses dispositions aux fins d’allégement du fardeau réglementaire et administratif.

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Charles-Henri de Coussergues, de l’Orpailleur

« Les heures que l’on passe en administration, c’est complètement fou », dit aussi Charles-Henri de Coussergues, de l’Orpailleur, qui a fait attendre un peu un inspecteur en environnement qui s’était présenté au vignoble, le jour de notre entrevue.

« Au Québec, poursuit ce vétéran de la vigne, quand tu fais de l’alcool ou quand tu es vigneron, tu dépends de pas mal de ministères : de l’Environnement à celui de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation, en plus de la Régie des alcools, de la SAQ, de la Sécurité publique, du ministère des Finances. On a l’impression qu’ils ne se parlent pas entre eux. »

Les vignerons sont déçus, surpris, en colère, inquiets.

« Personne dans ce gouvernement-là n’a une vision d’avenir pour notre industrie », dit Sébastien Daoust, vigneron propriétaire des Baccantes. « On fait un projet de loi qui impose de nouveaux dédales administratifs et ne répond en rien aux quatre années de revendications que l’on a eues auprès d’eux », poursuit-il.

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Félix Duranceau et Julie Bouchard, du Domaine du P’tit Bonheur

« Il faudrait effacer le tableau au complet de la manière dont on voit et on approche l’ensemble de l’alcool du côté gouvernemental, dit Félix Duranceau, copropriétaire depuis deux ans du Domaine du P’tit Bonheur de Cowansville. On est en 2023, on devrait peut-être revoir cette façon de faire. Nous sommes des entreprises et représentons un secteur agrotouristique extrêmement important. »

Le néovigneron confie qu’il a lui aussi été frappé par la charge administrative imposée à son secteur.

« Ce qu’on veut faire, c’est cultiver le raisin, le vinifier et le vendre, dit-il. C’est ça, le cœur de notre travail, mais on se ramasse souvent à faire de l’administration. »

Pour des raisons de santé, le vigneron a décidé de mettre son entreprise en vente.

Des règlements archaïques

Les politiciens et les ministres qui rencontrent les vignerons sont pourtant porteurs d’espoir et de promesses.

« On se demande qui barre ça », lance Louis Denault, qui confie que le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a un réel désir que la filière vin se développe.

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Louis Denault, copropriétaire du Vignoble Sainte-Pétronille et président du Conseil des vins du Québec

On ne demande pas de l’argent, on demande juste de la bonne volonté. De changer des règlements et d’enlever cette lourdeur.

Louis Denault, copropriétaire du Vignoble Sainte-Pétronille et président du Conseil des vins du Québec

Parmi les règles qui compliquent la vie des vignerons, il y a celle qui impose à leur entreprise de faire elle-même la livraison de son vin.

Donc, si Louis Denault quitte son vignoble de l’île d’Orléans pour aller porter des bouteilles à Montréal, il ne peut pas proposer à un des cinq autres vignerons de l’île d’apporter une caisse, même si elle est destinée au même commerce du Plateau-Mont-Royal. Le voisin vigneron doit prendre son propre véhicule et faire la livraison de sa caisse.

Cette règle devait être abolie à la fin de l’année dernière, puis en début d’année. Ça n’est toujours pas le cas.

On a un permis de production artisanale, alors on doit livrer par nous-mêmes. C’est la caricature du vigneron qui met ses bottes à vaches le matin et monte dans sa calèche pour aller vendre ça au marché Atwater. C’est cute, mais on est rendus ailleurs.

Sébastien Daoust, vigneron propriétaire des Baccantes

Questionné à ce sujet, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie a indiqué par courriel que, de son point de vue, « les discussions se poursuivent afin de traduire cette ouverture du gouvernement en un nouveau règlement qui répondra aux attentes de la majorité des acteurs du milieu, incluant les vignerons et des intervenants gouvernementaux ».

Un autre règlement limite le prêt d’équipement entre entreprises.

Si la presse d’un vigneron brise alors qu’il est en train de presser, il ne peut pas apporter ses raisins en vitesse dans un vignoble pas loin pour finir le travail. Idem pour les cuves.

Aux Bacchantes, la récolte a été moins abondante cette année. Sébastien Daoust se retrouve avec trois cuves de 4000 L vides, qu’il aimerait bien prêter à un collègue. Impossible.

Au Vignoble Sainte-Pétronille, Louis Denault a muni son entreprise d’une chaîne d’embouteillage, un investissement majeur. Il ne s’en sert que deux semaines par année, mais le producteur voisin ne peut pas embouteiller ses vins avec l’équipement d’une autre entreprise que la sienne.

« La RACJ nous dit que c’est une question de traçabilité », dit Louis Denault, qui n’adhère pas à cet argument étant donné que la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) suit à la trace le nombre de raisins récoltés, dans chacun des vignobles. Impossible de perdre la trace sur une chaîne d’embouteillage ou dans une cuve.

Les entrepreneurs viticoles ne manquent pas d’exemples pour expliquer à quel point ce type de règlements leur complique la vie et ralentit leur croissance.

« Est-ce qu’il va falloir que l’on fasse une plainte à l’OMC contre notre propre pays parce qu’on est brimés par rapport aux autres ? demande Louis Denault. Il n’y a pas d’autres endroits au monde où on ne peut pas faire de sous-traitance. »

Avec ces restrictions, difficile d’être compétitif, calcule Sébastien Daoust, qui enseigne aussi à HEC Montréal. Mais le jour de notre entrevue, il avait passé la plus importante partie de son temps dans les rues de Montréal à faire des livraisons de son vin, ce qui inclut des heures à tourner en rond pour trouver des places de stationnement.

Pourtant, les vignerons doivent être efficaces, plus que jamais, avec les consommateurs qui boivent moins et qui cherchent de bons prix.

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Lorsqu’il est devenu vigneron il y a deux ans, Félix Duranceau, du P’tit Bonheur, a été frappé par la charge administrative imposée à son secteur.

« Au Québec, on est chanceux, le marché est là, dit Félix Duranceau, du P’tit Bonheur. Mais on voit déjà l’effet de la baisse de l’économie directement sur nos ventes. C’est vrai dans le cidre, dans la bière, pour les microdistilleries. Les ventes sont en baisse. »

Selon lui, un consommateur qui mettait dans son panier une cuvée québécoise à 30 $ l’année dernière va être tenté d’opter cette année pour un vin français moins cher.

« On se bat pour la piasse de luxe que les gens n’ont plus ! »

Dans le contexte actuel, Félix Duranceau estime que les consommateurs font avec le vin comme ils font avec la bière : ils retournent vers des valeurs sûres. Et pour le vin, c’est peut-être un petit blanc de la Loire qui coûte moins de 20 $ à la SAQ ou un vin d’Amérique du Sud acheté à l’épicerie. Au détriment des vidal et des rieslings locaux.

Baisse des ventes de vins québécois à la SAQ

Il y a eu un recul des ventes de vins québécois de 7 % à la SAQ, depuis le début de l’année financière. Cela inclut une baisse de 16 % des rosés qui s’explique par la météo estivale qui nous a moins donné envie de trinquer au rosé, explique la porte-parole de la SAQ, Geneviève Cormier. Cette dernière note aussi « qu’on se compare à une année exceptionnellement haute l’année dernière ». Pour l’année 2022-2023, les ventes des vins Origine Québec avaient augmenté de 19 %.

En savoir plus
  • Du simple au double
    Le Québec a produit 3,1 millions de bouteilles de vin l’année dernière. C’est plus du double de la quantité produite il y a 10 ans, en 2013 : 1,4 million de bouteilles.
    Conseil des vins du Québec