La Presse a rendez-vous avec Claude Lachance dans ses bureaux de la place du Commerce à L’Île-des-Sœurs. Finalement, pas de photo : il n’a pas la permission du Fonds de solidarité FTQ, dit-il. « J’ai des ententes avec les partenaires institutionnels pour tout ce qui est journalistique ou image. »

Le Fonds a investi 50 millions jusqu’à maintenant dans sa nouvelle « Cité de l’Île ». Évalué entre « 1,5 et 1,7 milliard » selon lui, le projet prévoit quatre nouveaux immeubles de 10 à 26 étages : logements, commerces, hôtel et résidence pour personnes âgées.

L’homme d’affaires de 64 ans peut aussi compter sur les prêts de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Elle a pris des garanties hypothécaires de 300 millions de dollars sur la majeure partie des propriétés que Lachance a assemblées : 29 000 mètres carrés (312 000 pieds carrés) de stationnements et de friches. L’équivalent de quatre terrains de soccer, juste en face du nouveau Réseau express métropolitain (REM).

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le site où Claude Lachance veut construire son projet de « 1,5 à 1,7 milliard », juste en face de la gare du REM de L’Île-des-Sœurs, avec l’appui de la Caisse de dépôt et placement du Québec et du Fonds de solidarité FTQ

Pour la suite, le promoteur dit être « en pleines négociations » avec ses partenaires.

« L’année dernière, tous les investisseurs institutionnels étaient en mode wait and see, dit-il. Est-ce qu’il va y avoir une baisse du taux directeur ? Deux ou trois ? Tout le monde a sa boule de cristal. C’est vraiment particulier. »

Les bas-fonds…

Pour le promoteur, L’Île-des-Sœurs représente un retour aux sources. Il a commencé sa carrière au début des années 1980 avec son père Jean-Claude Lachance, qui a dessiné une série d’immeubles de condos dans le quartier, comme les tours des Verrières sur le fleuve.

Le promoteur a ensuite connu des années sombres, après des études en architecture à l’Université Laval jamais terminées. Il aborde volontiers son parcours chaotique : trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), « automédicamentation » avec l’alcool et « la cocaïne en support »… Ces problèmes ont provoqué sa longue déchéance, jusqu’à une faillite de près d’un demi-million en 2004 – sa deuxième –, puis huit mois d’itinérance en 2005.

Il s’est ensuite repris en main grâce à une cure de désintoxication à la Maison Jean-Lapointe. « Tout ce que j’avais tenait dans un sac de voyage. »

Puis le rebond 

Claude Lachance a ensuite renoué avec l’immobilier. « J’ai recommencé à zéro. »

En 2006, il faisait une offre d’achat sur un terrain dans la Petite Italie, puis demandait à un ancien client de devenir son partenaire. « Il m’a dit : ‟Non, Claude, c’est trop frais, là, tu viens de sortir de thérapie…" »

L’ex-client lui a toutefois racheté son offre pour 150 000 $, raconte-t-il. « J’ai pris ça, j’ai acquis un terrain à 100 000, j’ai fait des petits condos, puis c’est parti. »

De fil en aiguille, le promoteur s’est attaqué à des projets de plus en plus gros… non sans plusieurs accrochages : avec des acheteurs, avec l’Ordre des architectes du Québec (voir autre texte) et, surtout, avec le gouvernement.

En guerre permanente contre le fisc 

Quand le fisc s’est mis le nez dans les comptes de Claude Lachance en 2012, il a découvert plus de 1 million en revenus non déclarés et en dépenses personnelles payées par ses entreprises d’immobilier, de 2007 à 2011.

L’État a imposé le promoteur pour ces années antérieures, comme le prévoit la loi dans les cas de « négligence flagrante », d’omissions ou de fausses déclarations. Mais M. Lachance refusait de payer.

L’affaire s’est étirée. En 2018, il a présenté une défense médicale : « un TDAH, de l’apnée du sommeil et des problèmes de consommation d’alcool et de cocaïne » auraient eu « un effet catastrophique » sur lui. L’État ne pouvait donc pas lui reprocher ses écarts fiscaux, plaidait-il.

L’affaire s’est réglée à l’amiable en 2019. Pour combien ? Claude Lachance refuse de le dire.

Le fisc repasse à l’attaque 

En 2015, le promoteur s’attaque avec des partenaires à son premier gros projet de béton : le Murray, dans Griffintown, deux tours de condos de 15 étages, dans la rue du même nom.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Le Murray, dans la rue du même nom dans Griffintown. L’entreprise de Claude Lachance impliquée dans le projet a conservé des centaines de milliers de dollars en taxes qu’elle avait perçues sur ces condos.

Mais le gouvernement a vite découvert que son entreprise GCA Créateurs immobiliers avait perçu des centaines de milliers de dollars en taxes sur des condos et des honoraires, sans jamais les remettre à l’État. L’entreprise avait aussi obtenu des remboursements de taxes injustifiés sur des dépenses personnelles.

La facture a gonflé avec le temps pour frôler les 2 millions, incluant pénalités et intérêts. En octobre 2019, Québec et Ottawa obtenaient des jugements pour faire saisir leur argent.

Ils sont revenus bredouilles : quand l’huissier s’est pointé aux bureaux de l’entreprise, elle avait « déménagé sans laisser d’adresse », selon un rapport déposé en cour.

Il se dit toujours non responsable 

Aujourd’hui, le gouvernement tient Claude Lachance responsable des dettes que son ancienne entreprise de construction n’a jamais remboursées.

Mais comme en 2018, son avocat invoque ses « problèmes de consommation, un déficit de l’attention et de l’apnée du sommeil ».

En entrevue, M. Lachance ne souhaite pas s’étendre sur le sujet. « Si j’ai fait des erreurs dans ma période de rétablissement, c’est une chose qui va être réglée », dit-il.

La dernière affaire date pourtant de 2015 et 2016. Encore en décembre dernier en Cour du Québec, l’avocat de M. Lachance plaidait qu’il « n’encourt pas de responsabilité » pour des taxes non remises en lien avec le projet du Murray, 10 ans après sa rémission. L’affaire serait de toute façon « prescrite », ajoute-t-il.

« Je paye beaucoup, beaucoup d’impôts, OK ? a répondu M. Lachance. Puis on a des différends avec l’impôt, comme beaucoup de gens qui exercent ce métier-là. »

Un juge a pris l’affaire en délibéré.

Les millions quasi publics, en plein litige fiscal 

Rien, en tout cas, pour freiner Claude Lachance dans son ascension. Le Fonds FTQ a commencé à financer son projet de L’Île-des-Sœurs en avril 2020, six mois après les jugements que le gouvernement avait obtenus pour saisir ses millions auprès de son entreprise. La Caisse a suivi cinq mois plus tard.

IMAGE ISSUE DU PROJET PARTICULIER DE CONSTRUCTION, DE MODIFICATION OU D’OCCUPATION D’UN IMMEUBLE SUR LA CITÉ DE L’ÎLE

Claude Lachance et le Fonds de solidarité FTQ comptent construire quatre nouveaux immeubles de 10 à 26 étages devant la gare du REM, avec du financement de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Le bas de laine des Québécois a refusé de dire combien il a prêté exactement pour le projet de L’Île-des-Sœurs. Dans un courriel, la directrice des relations aux médias, Kate Monfette, assure que la somme réellement prêtée est « bien en deçà » des garanties de 300 millions inscrites au registre foncier.

Sans commenter davantage, la Caisse assure avoir « suivi toutes les étapes habituelles de vérifications diligentes, d’analyse et d’approbation », dont « une analyse rendement-risques ».

Le Fonds FTQ, de son côté, dit s’attendre à ce que « l’ensemble de ses partenaires respectent les lois », selon sa porte-parole, Frédérique Lavoie-Gamache. « Le Fonds n’aborde pas publiquement les situations particulières avec des partenaires et en particulier, celles qui sont en processus juridique. »

En savoir plus
  • 95 millions 
    Somme totale déboursée par des entreprises que contrôle Claude Lachance pour acquérir les terrains au sud de la gare du REM à L’Île-des-Sœurs, de 2017 à 2020
    Source : registre foncier du Québec 
    467 059 $  
    Créances totales lors de la deuxième faillite de Claude Lachance en 2004. Il devait la somme complète à Revenu Québec et à Revenu Canada.
    Source : Bureau du surintendant des faillites