Pour être vigneron au Québec, il faut avoir la couenne dure : la viticulture nordique est exigeante, la rentabilité des entreprises vient souvent après des années de durs labeurs, et il vaut mieux avoir de la relève. Ceux qui n’en ont pas mettent parfois leur entreprise en vente. À regret.

Si vous voulez acheter un vignoble, c’est le moment : plusieurs sont sur le marché, de l’île d’Orléans au Kamouraska, en Montérégie et même dans la région de Montréal.

Mais il ne faut pas penser devenir rapidement très prospère. « C’est une vocation », dit Louis Denault, président du Conseil des vins du Québec.

Tu dois vouloir vivre de ça, modestement, et avec les années, ça devient profitable.

Louis Denault, président du Conseil des vins du Québec

C’est exactement ce qui s’est passé au Côte de Vaudreuil, un domaine qui produit autour de 30 000 bouteilles par année, à l’ouest de Montréal.

L’entreprise est profitable, confirme son propriétaire Serge Primi, qui s’est tout de même résigné à la mettre en vente, faute de relève.

À l’aube de ses 70 ans, l’entrepreneur sait qu’il devra diminuer ses heures dans les vignes, éventuellement. Il faisait les vendanges lorsque nous l’avons rencontré, avec une quinzaine de bénévoles, en octobre.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Serge Primi était associé chez KPMG lorsqu’il a fait le saut dans les vignes, avec une petite période de transition. Il compte prendre la même période tampon à la vente du vignoble, car il sait qu’il y aura un réel deuil à faire au moment de passer le flambeau.

La viticulture est exigeante. Une fois les raisins récoltés et vinifiés, il faut recouvrir les espèces Vitis vinifera, ces cépages du Vieux Monde comme son chardonnay et son riesling, car ils ne supportent pas le froid du Québec. En plus de travailler au champ et au chai, Serge Primi, comptable de formation, gère les affaires du vignoble.

Environ 40 % de la production du Côte de Vaudreuil est vendue à la SAQ. L’entreprise est rentable, mais – tous les vignerons du Québec le disent, on ne se lance pas dans la viticulture ici pour devenir millionnaire.

Il vaut mieux l’être avant de se lancer.

D’ailleurs, à 3 000 000 $, qui achètera le vignoble de Vaudreuil ?

« Un fou comme moi », dit Serge Primi.

« J’ai pris un risque calculé », précise-t-il, rappelant qu’il est comptable.

Le vigneron explique qu’il a choisi l’ouest de l’île, car la région était en plein développement lorsqu’il a acheté cette propriété sur laquelle il a beaucoup investi depuis 2006.

C’est une excellente chose, mais ça rend la vente plus difficile : les vignobles matures, comme le sien, qui viennent avec une résidence et qui sont tout équipés ne sont pas pour des jeunes qui se lancent dans la viticulture et qui planteront les premières vignes, de leur choix.

Les coûts d’implantation sont énormes pour un vignoble au Québec, dit Louis Denault, qui ajoute que l’hectare de vignes a doublé de valeur au Québec en cinq ans. Le Conseil des vins du Québec veut accompagner les entrepreneurs qui décident de se lancer dans cette aventure, afin d’éviter des déceptions.

« On veut informer les gens avant qu’ils ne se lancent en affaires, dit Louis Denault. Pour ne pas qu’ils voient les succès des vignobles et qu’ils se lancent là-dedans sans trop savoir dans quoi ils s’embarquent. »

Le nombre de vignobles a doublé entre 2010 et 2022 dans la province.

Vision romantique

Charles-Henri de Coussergues a fondé le vignoble l’Orpailleur, à Dunham, il y a plus de 40 ans.

Il est surpris de constater que des entrepreneurs ont encore une vision bucolique du vignoble lorsqu’ils se lancent dans un projet.

Je vois encore parfois de l’improvisation, et ça me surprend.

Charles-Henri de Coussergues, du vignoble l’Orpailleur

Charles-Henri de Coussergues rappelle qu’une entreprise vitivinicole est dans le secteur de l’agriculture, de la transformation et de la vente. Selon lui, certains sous-évaluent la charge de travail ou sa complexité.

« Trop pensent qu’une fois qu’on a mis le bouchon sur la bouteille, le travail est fini, dit le vigneron. Alors qu’il n’y a que 50 % du travail qui est fait. L’autre 50 %, c’est la commercialisation. Il faut aimer ça. »