La passation des pouvoirs peut débuter chez Gildan. Le conseil d’administration et le PDG du fabricant montréalais de vêtements ont plié bagage jeudi soir, évitant ce qui s’annonçait comme une défaite humiliante au terme d’une course aux procurations.

Cinq mois après avoir été congédié de façon inattendue, Glenn Chamandy pourra retrouver le poste de PDG de l’entreprise dont il est le cofondateur.

Tous les membres du conseil d’administration de Gildan démissionnent et le PDG Vince Tyra a quitté ses fonctions à la fin de la journée jeudi. L’entreprise a aussi annoncé avoir mis un terme aux discussions entourant le processus de vente annoncé précédemment.

Qu’est-ce qu’une course aux procurations ?

On parle d’une course aux procurations quand deux ou plusieurs groupes d’investisseurs luttent pour le contrôle d’une entreprise en présentant des candidats favorables à leurs causes respectives à l’élection des membres du conseil d’administration. Pour ce faire, ils cherchent à convaincre une majorité d’actionnaires de leur confier leurs droits de vote en signant une procuration.

« Les actionnaires ont clairement exprimé leur position », a fait savoir Gildan en ajoutant que les administrateurs sortants estimaient qu’il était dans l’intérêt de toutes les parties prenantes qu’ils démissionnent et ne sollicitent pas le renouvellement de leur mandat à l’assemblée de mardi prochain afin de permettre au nouveau conseil d’entrer en fonction et de superviser ainsi les activités de l’entreprise de la manière la plus ordonnée et la plus efficace possible.

Le conseil sortant a nommé au conseil d’administration les candidats proposés par la firme d’investissement américaine Browning West, cet actionnaire institutionnel qui menait une cabale depuis décembre pour annuler le congédiement de Glenn Chamandy.

« Les actionnaires ont parlé. Glenn Chamandy fera son retour par la grande porte », commente le président de l’Institut sur la gouvernance, François Dauphin. « Le nombre de procurations reçues devait déjà confirmer un résultat défavorable pour les candidats du conseil sortant », précise-t-il.

Ce coup de théâtre survient quelques jours seulement avant ce qui aurait été le point culminant de l’une des plus grandes batailles de procuration jamais menées au Canada.

Le conseil d’administration de l’une des plus grosses entreprises de Québec inc. faisait face à plusieurs de ses actionnaires institutionnels qui faisaient pression depuis plusieurs mois.

Browning West a indiqué jeudi que selon les résultats préliminaires, l’écrasante majorité des droits rattachés aux actions ont été exercés en faveur de ses huit candidats avant la démission du conseil.

Les huit candidats de Browning West aux postes d’administrateur composeront donc le nouveau conseil d’administration de Gildan et seront les seuls candidats aux postes d’administrateur qui se présenteront mardi à l’élection lors de l’assemblée annuelle des actionnaires.

Browning West n’a jamais relâché la pression sur le conseil d’administration pour convaincre le plus d’actionnaires possible du bien-fondé de sa démarche. Le conseil d’administration avait réagi à chaque geste, exhortant les actionnaires à le soutenir jusqu’à jeudi.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Usine de textile de Gildan au Honduras, en 2015

Les actionnaires dissidents avaient reçu un coup de pouce de taille ces derniers jours. Trois agences indépendantes de conseils en vote (ISS, Glass Lewis et Egan-Jones) ont tour à tour accordé leur appui à la liste de candidats présentée par Browning West.

La lutte de pouvoir chez Gildan avait rapidement pris une tournure amère et virulente après que le conseil eut destitué Glenn Chamandy deux semaines avant Noël. Le conseil avait justifié sa décision par des divergences liées au plan de succession et en soulignant que Glenn Chamandy souhaitait aller de l’avant avec une stratégie d’acquisitions risquée de plusieurs milliards de dollars.

Cette bataille pour le contrôle de Gildan a notamment donné lieu à des accusations de colportage d’informations trompeuses, des insultes et des poursuites en justice.

Les actionnaires ont été bombardés de documents, les deux parties se balançant mutuellement des communiqués de presse, des présentations et des lettres, répondant souvent en l’espace de quelques heures à de nouvelles allégations.

La Caisse de dépôt et placement du Québec s’est manifestée ce mois-ci en révélant son intention d’investir 200 millions dans l’entreprise, appuyant par le fait même le conseil d’administration de Gildan et le PDG Vince Tyra.

En mars, la direction de Gildan avait révélé être en pourparlers avec des acquéreurs potentiels avant de laisser savoir en avril que l’acquisition de la société continuait de susciter un intérêt à l’externe et que le processus se poursuivait.

Avec une capitalisation boursière supérieure à 8 milliards de dollars, Gildan est l’une des 20 entreprises publiques les plus importantes au Québec.

L’attention se tournera rapidement vers Glenn Chamandy et sa capacité à mettre en œuvre le plan stratégique présenté par Browning West dans les dernières semaines.

« La suspension du processus de vente pourrait peser sur le sentiment des investisseurs, même si cela s’est déjà partiellement reflété dans le prix de l’action », évoque l’analyste Vishal Shreedhar, de la Financière Banque Nationale. « La question clé pour Glenn Chamandy et Gildan sera de revigorer la croissance dans un contexte incertain », souligne-t-il dans une note publiée en soirée jeudi.