Rio Tinto ne considère pas d’autres endroits que le Québec pour produire l’aluminium 100 % vert promis par sa technologie révolutionnaire du Saguenay, Elysis. L'entreprise pose cependant une condition essentielle : des tarifs préférentiels, même si l’énergie est de plus en plus rare.

À la tête de la division aluminium de la multinationale, Ivan Vella concède que les alumineries québécoises sont les plus rentables au monde. Le portrait est différent lorsque vient le temps de construire de nouvelles installations, d’où la nécessité d’obtenir des rabais énergétiques, dit l’homme d’affaires.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Ivan Vella, PDG de Rio Tinto Aluminium

Bâtir une aluminerie en Chine coûte environ 2000 $ US par tonne de capacité tandis qu’au Québec, on parle de 6000 $ US à 8000 $ US. Le coût de la main-d’œuvre est élevé, tout comme celui des matériaux. Il y a aussi la fiscalité. Plus personne ne peut construire de nouvelles alumineries parce qu’ils n’en ont pas les moyens.

Ivan Vella, PDG de Rio Tinto Aluminium

En entrevue avec La Presse pendant environ 90 minutes, l’homme d’affaires a défendu bec et ongles les demandes du géant minier australo-britannique en dépit de tous les privilèges dont il bénéficie déjà. En décembre dernier, La Presse a révélé que Rio Tinto n’avait pratiquement pas payé d’impôts au gouvernement du Québec ces dernières années pour son secteur de l’aluminium. L’entreprise a aussi le droit de produire sa propre électricité sur les rivières Saguenay et Péribonka, à bas coût.

M. Vella a repris un refrain qui a été entendu à plus d’une reprise dans le passé en évoquant le maintien d’emplois payants à l’extérieur des grands centres urbains – même dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre – et des retombées économiques non négligeables chez de nombreux fournisseurs. À cela s’ajoutent des investissements annuels d’environ un demi-milliard effectués par Rio Tinto dans l’entretien de ses installations québécoises, ajoute-t-il.

Le patron de Rio Tinto Aluminium a tenu à dissiper les doutes après avoir semé l’inquiétude. L’automne dernier, celui-ci avait affirmé que la technologie Elysis pourrait ne pas être implantée dans les alumineries québécoises parce qu’elles sont trop vieilles.

Il est effectivement « très difficile » de moderniser une aluminerie existante, a reconnu M. Vella, en entrevue. Celui-ci « croise les doigts » pour que ce scénario puisse se produire, sans toutefois se faire d’illusions. Le déploiement de cette nouvelle technologie risque de passer par la construction de nouvelles installations.

« C’est la stratégie la plus plausible », affirme M. Vella.

De l'espace à Alma

En développement au Saguenay depuis 2018, Elysis est considérée comme très prometteuse, mais elle en est encore à ses balbutiements. Rio Tinto, Alcoa et Apple financent une partie du projet. C’est toutefois les gouvernements d’Ottawa et Québec qui ont surtout délié les cordons de la bourse jusqu’à présent en offrant 120 des 228 millions nécessaires.

Les premiers pas de la phase commerciale de cette nouvelle technologie devraient s’effectuer sur le site d’Alma, a expliqué M. Vella. La raison est simple : il y a de l’espace pour accueillir de nouvelles cuves.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB LELINGOT.COM

Usine d’électrolyse de Rio Tinto, à Alma

« Il y a une demi-ligne d’espace [pour des cuves] prête à être agrandie, affirme le cadre de Rio Tinto. Il n’est pas surprenant que les trois premières cuves fassent partie de cette ligne qui devrait continuer avec Elysis. La première [phase] à grande échelle peut se faire sur un site vierge, mais intégré à Alma. Ensuite, nous devrons réfléchir à ce que nous ferons pour le reste. »

Selon M. Vella, on parle d’un projet d’une capacité annuelle de 170 000 à 200 000 tonnes de métal argenté au complexe d’Alma. Si tout se déroule comme prévu, la commercialisation de cette nouvelle technologie est prévue pour 2030. Rio Tinto mise sur la volonté de ses clients de payer plus cher pour de l’aluminium produit sans émission de gaz à effet de serre.

Un avertissement

Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, répète que la technologie Elysis fera du Québec un chef de file en matière de production d’aluminium vert dans le monde. Il est ouvert à la possibilité d’accorder plus d’électricité à tarif préférentiel à Rio Tinto. On ignore cependant quel sera le prix payé par l’entreprise.

Le patron de la division Aluminium de Rio Tinto s’est montré prudent en commentant l’état des négociations entre la multinationale et le gouvernement Legault. Pendant des décennies, les alumineries ont pu bénéficier de tarifs hydroélectriques préférentiels alors que les surplus étaient la norme chez Hydro-Québec.

Conscient que le contexte a changé et que le pouvoir de négociation du gouvernement québécois est beaucoup plus grand. M. Vella lance toutefois un avertissement.

« Le Québec peut dire “voici quel sera le prix” et nous répondrons “OK, nous ne pouvons tout simplement pas investir à ce prix”, prévient-il. Ils le savent. Nous sommes conscients qu’il faut établir un partenariat avec la province pour nous assurer que l’équilibre est bon. »

Pour illustrer que le gouvernement Legault ne doit pas être trop gourmand, M. Vella a présenté une liste de 16 alumineries qui ont mis la clé sous la porte aux États-Unis depuis 2000 parce qu’elles n’étaient plus jugées rentables.

« Ce qu’ils [le gouvernement] ne veulent pas voir, ce sont des alumineries québécoises venir s’ajouter à cette liste des fermetures en raison des bons emplois que nous générons, affirme-t-il. Il y a un équilibre à atteindre et c’est la conversation que nous devons avoir [avec le gouvernement]. »

Dans la foulée des remarques formulées en novembre dernier par M. Vella, d’anciens cadres de Rio Tinto avaient interpellé le gouvernement Legault, a rapporté La Presse, le mois dernier. Ceux-ci demandaient à Québec de ne pas croire tout ce que promet Rio Tinto. L’un d'eux, Jacques Dubuc, estimait que les signaux « en provenance de l’entreprise » n’auguraient « rien de bon pour l’avenir des installations existantes du Saguenay ».

Rio Tinto envisage l’extraction et la transformation de minéraux critiques au Québec

PHOTO FOURNIE PAR RIO TINTO, ARCHIVES LA PRESSE

Coulée d’un alliage aluminium-scandium dans des installations de recherche et développement de Rio Tinto

Après avoir fait ses premiers pas dans la filière québécoise des batteries pour véhicules électriques l’an dernier, Rio Tinto ne semble pas vouloir ralentir la cadence. Que ce soit du côté de l’extraction ou de la transformation, la multinationale envisage d’autres avancées dans ce nouveau marché.

« Il y a probablement une cinquantaine de personnes [au Québec] qui travaillent sur le dossier des matériaux de batteries, affirme le président-directeur général de Rio Tinto Aluminium, Ivan Vella. On se penche sur le lithium, le nickel, le cuivre et le scandium. »

Dans le créneau des métaux critiques, la multinationale a développé une technologie pour produire annuellement trois tonnes de scandium, minerai critique utilisé par l’industrie aérospatiale et électronique – dont la demande est en forte hausse.

Elle a aussi réalisé un investissement de 10 millions dans Nano One, une entreprise de Vancouver qui fabrique les cathodes – un élément névralgique de la batterie au lithium-ion que l’on retrouve dans les véhicules électriques. Dans le secteur du lithium, Rio Tinto achève également la construction en Argentine d’un complexe pour extraire ce métal gris.

Interrogé à savoir s’il s’agissait d’un modèle que Rio Tinto pourrait reproduire, M. Vella a répondu par l’affirmative.

« Oui, bien sûr, a-t-il dit. Développer ou acquérir [un projet], absolument. Nous voulons transformer autant que possible. C’est la technologie sur laquelle nous travaillons. »

Le cadre du géant minier n’a cependant pas voulu ouvrir son jeu davantage ou préciser d’échéancier. Il s’agit de projets milliardaires difficiles à réaliser, a-t-il dit.

Depuis le début de la pandémie, la demande pour les semi-conducteurs – composants que l’on retrouve dans des puces électroniques essentielles au fonctionnement d’appareils technologiques – est en forte hausse. Rio Tinto tente d’en profiter en récupérant une partie des résidus de bauxite.

« Devinez ce qui est rempli de gallium [nécessaire dans les semi-conducteurs] ? Les résidus de bauxite, souligne M. Vella. Nous travaillons très fort pour filtrer et valoriser ces résidus de bauxite. »

À sa raffinerie d’alumine Vaudreuil, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’entreprise compte une usine de filtration et d’optimisation des résidus de bauxite, qui a été mise en service en 2019.

En savoir plus
  • 50 %
    Le Québec représente la moitié de la production mondiale de Rio Tinto Aluminium.
    Rio Tinto