Le fabricant d’habits pour hommes Jack Victor, qui prévoyait licencier 151 travailleurs après les Fêtes, s’est ravisé. Grâce à l’obtention d’un contrat d’équipement médical, l’usine montréalaise a besoin de tout son monde. Mais pendant ce temps, la survie d’un autre acteur centenaire de l’industrie de la mode masculine, S. Cohen, est en péril.

Chez Jack Victor, on se réjouit d’avoir pu effacer en quelque sorte une annonce désagréable. « C’est des bonnes nouvelles ! Je suis content ! », nous répète avec entrain Vincenzo D’Agostino, vice-président aux opérations.

En octobre, l’entreprise a prévenu le ministère du Travail et le syndicat de son intention de remercier 151 personnes en février prochain. Elle leur a aussi confirmé le licenciement immédiat de 127 autres personnes mises à pied au début de la pandémie. Dans un document transmis plus tard à La Presse, le Ministère avait erronément amalgamé les deux groupes, ce qui laissait croire que les 278 pertes d’emplois étaient à venir.

Quoi qu’il en soit, l’usine de Jack Victor vient de « sécuriser un nouveau contrat » pour fabriquer des blouses médicales, ce qui lui a permis d’annuler les licenciements prévus. Autre bonne nouvelle, « environ 50 % » des personnes sans travail depuis le printemps « vont revenir au travail d’ici la mi-janvier. On attend juste le tissu », nous a confié M. D’Agostino.

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Le bâtiment abritant l'usine de Jack Victor

Jack Victor, qui se spécialise dans les habits haut de gamme depuis 1913, a commencé à fabriquer des blouses utilisées dans les hôpitaux en juin. L’usine située rue Saint-Alexandre au sud de la rue Sainte-Catherine en produit actuellement 20 000 par semaine, et espère se rendre à 50 000 par semaine le mois prochain. En tout, ses vastes installations emploient environ 800 personnes.

Avec le télétravail, la demande pour les habits et les vêtements plus formels a diminué considérablement. Et il s’avère que le Québec est un important fabricant d’habits moyen et haut de gamme. Ses usines approvisionnent d’ailleurs des chaînes de magasins de luxe aux États-Unis.

Insolvable, S. Cohen vend ses stocks à un liquidateur

Tandis que la plupart des acteurs du secteur de la mode s’ajustent tant bien que mal à la nouvelle réalité, l’avenir de S. Cohen est pour le moins incertain.

L’entreprise familiale gérée par la cinquième génération de Cohen s’est placée à l’abri de ses créanciers le 30 juillet. Ses dettes totalisaient alors 5 millions de dollars. En 2018 et 2019, les ventes avaient dépassé les 10 millions.

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S. Cohen, un des trois fabricants d’habits pour hommes à Montréal fait faillite et fermera ses portes sous peu. Photos du siège social à Saint-Laurent.

Avant la pandémie, « les principaux clients de S. Cohen faisaient déjà face à une grande diminution de leurs ventes », a écrit le syndic PwC dans ses rapports déposés au tribunal. Compte tenu de la fermeture des magasins au printemps, les ventes ont reculé de 75 % (- 1,3 million) pour la période de trois mois close en juin.

Ses habits étaient autrefois fabriqués dans une usine à Boisbriand appelée Vêtements S & F qui appartenait à la même famille. Celle-ci a été fermée en 2017. Depuis, ses vêtements proviennent d’Asie. La même année, l’entreprise est devenue, selon son site web, « la première en Amérique du Nord à livrer des habits sur mesure en 15 jours ».

Cet automne, le syndic a cherché en vain un acquéreur. Même si 42 approches ont été effectuées, seulement deux offres ont été reçues « en raison de la nature du produit » dans le contexte du télétravail, écrit PwC. Et elles « ont été jugées inacceptables par les créanciers et ont été rejetées par le syndic ».

L’entreprise québécoise de liquidation Continental a finalement acheté les stocks et l’équipement pour 175 000 $. La valeur comptable étant de 1,23 million, cela représente une réalisation de 14 %, un scénario plus payant pour les créanciers que la liquidation dans un contexte de faillite, selon le syndic. La Cour a approuvé la transaction et accordé sa protection jusqu’au 7 janvier.

Il n’a pas été possible de parler à quiconque chez S. Cohen pour savoir si les dirigeants avaient l’intention de fermer ou de poursuivre avec un modèle d’affaires différent dans l’espoir de souffler 100 bougies en 2023.

Quatre fabricants de vêtements pour hommes s’adaptent

Jack Victor n’est évidemment pas le seul fabricant de vêtements pour hommes du Québec à avoir diversifié sa production dans un contexte où les habits se vendent beaucoup moins.

Samuelsohn

Samuelsohn, sur l’avenue du Parc, à Montréal, « a commencé à la fin d’avril, très tôt », rapporte la représentante syndicale Suzy Beaudry, de l’Union des employés et employées de service (UES), section locale 800. Une décision qu’elle applaudit puisqu’elle a permis de conserver tous les emplois. « Ils ont même engagé du monde », se réjouit-elle. L’usine compte maintenant 380 travailleurs plutôt qu’environ 340 avant la pandémie. Les habits Samuelsohn sont notamment vendus dans les magasins Harry Rosen. L’entreprise a été fondée en 1923.

Empire Clothing

Née elle aussi au début du siècle dernier, l’entreprise Empire Clothing (1917) fabrique ses habits rue Saint-Denis, à Montréal. Selon Mme Beaudry, la confection de vêtements pour le secteur médical y a commencé assez tard et « le 30 novembre, il y a eu 40 mises à pied ». Mais 280 personnes y travaillent encore.

Ballin

À Saint-Césaire, l’usine de Ballin, qui se décrit comme « le chef de file dans la confection de pantalons et de shorts pour homme en Amérique du Nord », s’est tournée vers la protection médicale en avril. Aucun de ses 125 employés n’a été mis à pied, rapporte l’UES, section locale 800. L’entreprise existe depuis 1946 et compte deux lieux d’affaires aux États-Unis.

Peerless

Fabricant des habits Calvin Klein, DKNY et Michael Kors, notamment, Peerless (1919) est très présent sur le marché américain. En mai, sur Facebook, l’entreprise a annoncé qu’elle entreprenait la confection « d’environ 25 000 uniformes pour les médecins et les infirmier(ère)s ». L’usine montréalaise fabrique aussi des masques. Il n’a pas été possible jeudi de savoir si des mises à pied avaient été annoncées.