Vendredi dernier, Jacques Lacoste, 76 ans, ne mâchait pas ses mots contre le gouvernement du Québec. «Pourquoi m'impose-t-il de chausser mon véhicule de pneus d'hiver ?

J'ai plus de 55 années d'expérience derrière le volant, je demeure en ville et puis je ne conduis jamais par mauvais temps.» Ces arguments ne tiendront pas la route à compter du 15 décembre, lorsqu'entrera en vigueur la nouvelle loi québécoise qui obligera tous les véhicules de promenade immatriculés ou loués au Québec à chausser des pneus d'hiver.

Selon les fabricants consultés par La Presse, les retraités ne seront pas les seuls à se pointer chez eux à reculons. Il en ira aussi de même pour les conducteurs de véhicules utilitaires qui prétendent encore que la «formidable» motricité de leur monture ne justifie pas la pose de pneus hiver. À ceux-là, il faut ajouter les propriétaires de parcs et de «minounes». Ces derniers auront du mal, craint-on, à accepter cette nouvelle réglementation puisque le coût de quatre pneus à neige équivaut souvent au prix de la voiture.

Confusion

Si la Loi 55 existe, son libellé demeure encore vague pour plusieurs intervenants du milieu. Plusieurs zones d'ombre subsistent quant à la définition d'un pneu d'hiver, confirme Normand Latrimouille, responsable des produits hivernaux chez Michelin Canada. «Doit-il obligatoirement être tatoué du pictogramme reconnu (la montagne et le flocon) ou reconnaîtra-t-on les mêmes vertus aux pneus marqués des appellations Snow ou encore Artic ?» s'interroge M. Latrimouille.

 

Même confusion aux Ateliers Réal Chicoine. «J'ai cru comprendre que trois ou quatre pictogrammes seraient autorisés, dit Sylvain St-Pierre, toujours en attente d'un document officiel.

À Transports Québec, on ne joue pas sur les mots. Selon son porte-parole, Terry McKinnan, seuls les pneus marqués d'un pictogramme représentant une montagne juxtaposée d'un flocon de neige seront autorisés entre le 15 décembre et le 15 mars sur les routes du Québec. Les autres ? «Ils pourront entraîner une amende pouvant varier de 200 à 300 $.» La bonne nouvelle (oui, il y en a une !) aucun point d'inaptitude ne figurera au dossier du propriétaire ou du conducteur du véhicule.

Mais au-delà de la définition d'un pneu d'hiver, d'autres dispositions de la Loi sont toujours à l'étude. Comme, par exemple, la possibilité d'obtenir une dérogation pour quitter le Québec ou pour y revenir sans que le véhicule soit muni de pneus conçus pour la conduite hivernale, et ce, pour une période de sept jours. Rappelons que Transports Québec a déjà révisé la loi pour satisfaire les snowbirds en repoussant d'un mois l'obligation de chausser des pneus d'hiver.

Production accrue

Les grands fabricants de pneumatiques ont bien entendu anticipé cette croissance exceptionnelle en augmentant leur production, mais ils n'excluent pas une possible pénurie. Le porte-parole de Michelin, Normand Latrimouille, est formel il y a risque de pénurie pour certains modèles nouveaux ou aux dimensions inhabituelles (ndlr 19, 20 et 21po). Faudra-t-il dès lors se résigner à laisser sa voiture au garage pendant toute la saison froide ? Pas forcément, pour autant que l'on s'y prenne à temps.

«Les premiers qui iront changer leurs pneus n'auront pas de souci, explique Théo Giannopoulos, du centre de pneus et mécanique Excellence, à Pierrefonds. Ils achèteront les pneus commandés cet été qui sont déjà en stock. Un conseil, donc achetez vos pneus avant le 15 novembre ou, en tout cas, avant l'arrivée de la neige.» À ce jour, cet atelier de l'Ouest-de-l'Île a déjà plus de 400 pneus d'hiver dans son carnet de commandes. Du jamais vu en cette période de l'année.

Les chiffres de la Sécurité routière sont sans appel en hiver, les risques d'accident sont multipliés par six. La plupart des conducteurs européens l'ont compris. Les ventes de pneus d'hiver représentent aujourd'hui, en moyenne, 25 % de l'ensemble du marché des pneumatiques. Au Québec, cette part représente plus ou moins 80 %. À l'inverse, dans le reste du Canada, elle tombe à 33 %. «Attention, le reste du Canada progresse aussi», indique Normand Latrimouille. Au cours des cinq dernières années, les ventes augmentent au rythme de 3 à 4 %.»

De l'avis des professionnels, dès que la température descend au-dessous de 7 0C, les pneumatiques d'été ou quatre saisons ne sont pas adaptés aux conditions hivernales. Les pneus d'hiver font appel à une technologie complexe. La composition de la gomme est différente. Ils sont munis de nombreuses lamelles aux sculptures plus accrocheuses. Cela se répercute forcément sur le prix de vente mais n'en fait pas pour autant des bijoux inaccessibles. Il faut compter aujourd'hui environ 600 $ pour quatre pneus d'hiver en gamme ordinaire pour une compacte de type Toyota Corolla. Ce n'est pas si cher payé pour une sécurité renforcée.