Bien des Québécois sont honteux des ravages de la COVID-19 au Québec et de notre incapacité collective à mater la pandémie, notamment à Montréal.

Et pour cause : le Québec compte 3013 morts liés au coronavirus, soit 353 par million d’habitants, cinq fois plus que dans le reste du Canada (67 par million d’habitants). Il est bien possible, comme le répète François Legault, que nos autorités soient plus pointilleuses dans leur calcul du nombre de morts, mais l’écart est trop grand pour que ce soit la seule explication.

Ce qui est dommage, c’est que le Québec est la province qui s’est attaquée le plus vigoureusement au coronavirus, en fermant rapidement une grande partie de son économie, ont confirmé les données sur l’emploi publiées vendredi.

Le Québec est passé de la province qui avait le plus bas taux de chômage au Canada en février (4,5 %) — avant la COVID-19 — à celle qui avait le taux plus élevé en avril (17 %). Cet écart de 12,5 points de pourcentage illustre l’ampleur du confinement imposé aux Québécois par les autorités depuis la mi-mars.

En comparaison, le chômage a grimpé de « seulement » 5,8 points en Ontario, à 11,3 %, de 6,2 points en Alberta (à 13,4 %) et de 6,5 points en Colombie-Britannique (à 11,5 %).

Dit autrement, ce n’est pas parce que l’économie n’a pas été assez restreinte que les morts s’accumulent au Québec. Au contraire, le gouvernement de centre droit de François Legault a été le plus dur envers l’économie au Canada.

On l’a dit souvent, et ce n’est pas une fausse excuse : la période plus hâtive de la relâche scolaire au Québec a joué un rôle. Une analyse des déplacements dans chaque province de la firme Drako Media, publiée par Radio-Canada, le démontre clairement.

Il y a eu aussi la mauvaise préparation des CHSLD et, notamment, les mouvements de patients et de personnel entre certains établissements, comme l’a reconnu François Legault, lundi. En Colombie-Britannique, les maisons pour aînés ont rapidement été isolées et les membres du personnel, attitrés exclusivement à leurs établissements, comme l’a expliqué mon collègue François Cardinal.

Mais revenons à la fermeture de l’économie. Les chiffres sur le taux de chômage sont révélateurs, mais ils ne disent pas tout (1).

Pour mieux comparer, il est préférable de s’en remettre à la chute du nombre d’emplois, et plus encore, à la diminution du nombre d’heures travaillées en avril. Là encore, le Québec se démarque, ce qui confirme le confinement plus grand imposé ici ; cependant, l’écart avec les autres provinces est plus réaliste.

Au Canada, le nombre d’heures travaillées a reculé de 22 % en avril par rapport au même mois de l’année précédente, selon les données de Statistique Canada.

Le recul est proche de la moyenne canadienne en Ontario (20 %), en Alberta (21 %) et en Colombie-Britannique (19 %). Au Québec ? La chute a été de près de 31 % (il s’est travaillé 88 millions d’heures en avril 2020, contre 127 millions en avril 2019).

Le grand écart avec les autres provinces vient notamment du secteur de la construction. Le Québec est l’une des seules provinces à avoir exigé l’arrêt quasi complet des chantiers, ce qui s’est traduit par un recul de 72 % des heures travaillées dans la construction en avril (2). En comparaison, la baisse a été de 36 % en Ontario, de 29 % en Alberta et de 23 % en Colombie-Britannique.

En rétrospective, aurait-on dû laisser les chantiers ouverts au Québec ? Est-ce une erreur, sachant qu’ailleurs, la modération n’a rien changé au bilan des morts, au contraire ?

Une bonne nouvelle pour l’économie ?

Quoi qu’il en soit, les chiffres désastreux sur l’emploi recèlent peut-être une bonne nouvelle. En effet, le recul du nombre d’heures travaillées en avril est fort probablement un creux absolu, puisque l’économie a recommencé sa croissance, avec le déconfinement entrepris presque partout. Or, ce creux n’est pas aussi bas que le prévoyaient la plupart des économistes.

Par exemple, la Banque Nationale prévoyait à la mi-avril que l’économie canadienne s’effondrerait de 31 % au deuxième trimestre (avril à juin), la Banque Laurentienne, de 30 % et le Mouvement Desjardins, de 22 %. Il s’agit de la baisse par rapport au trimestre précédent.

Selon les données de Statistique Canada, la chute du nombre d’heures travaillées en avril par rapport au mois d’avant la COVID-19 (février) est de 28 %. Ce taux de 28 % diminuera au fur et à mesure que le trimestre progressera, avec le déconfinement, si bien que la décroissance risque d’être bien moindre au deuxième trimestre au Canada que les 22 % à 31 % prévus par ces institutions financières (3).

Certains diront, avec raisons, que leurs prévisions concernent le produit intérieur brut (PIB) et non les heures travaillées. Les données sur le PIB seront connues seulement dans quelques semaines.

Je répliquerais que l’utilisation des heures travaillées comme indicateur est tout de même assez prudente. En effet, la chute de la masse salariale donnerait une meilleure approximation de l’impact économique du confinement. Or, ce déclin de la masse salariale est moindre que celui des heures travaillées, selon Statistique Canada, puisque les emplois perdus l’ont été dans des secteurs peu rémunérés (restauration, hébergement, etc.).

En revanche, j’en conviens, le déconfinement prendra plus de temps que prévu et l’ensemble de l’année 2020 se soldera par une sévère récession. La Banque Royale prévoit un recul du PIB annuel de 7,1 % au Québec, de 6 % en Ontario et de 11,2 % en Alberta, avec une moyenne de 7,1 % pour le Canada. À suivre attentivement…

1- Le taux de chômage dépend du nombre d’emplois perdus (le numérateur), mais aussi de la population active, qui cherche du travail (le dénominateur). Au Québec, cette population active a diminué beaucoup moins fortement qu’ailleurs au Canada en avril, si bien que le fruit de l’équation — le taux de chômage — est plus grand.

2- L’enquête de Statistique Canada a eu lieu entre le 12 et le 18 avril et les chantiers ont rouvert à partir du 20 avril.

3- Le déclin du nombre d’heures travaillées au Québec entre février et avril a été de 36 %, selon les données de Statistique Canada. Il faut prendre ces variations comme des ordres de grandeur, puisqu’il s’agit de données non désaisonnalisées.