À suivre les points de presse de François Legault depuis quelques jours, on serait tenté de croire que le fiasco des CHSLD est attribuable à ceux qui refusent de s’y pointer.

Un jour, ce sont les médecins spécialistes. Un autre, ce sont les étudiants, les préposés aux bénéficiaires ou les absents du réseau de la santé.

C’est en partie vrai. Il manque de bras, et donc, le Québec doit se résigner à appeler en renfort l’armée, seul groupe qu’on peut forcer à intervenir où personne ne veut aller.

Mais, soyons honnêtes, si on parle d’une « hécatombe » dans les centres de soins de longue durée, c’est aussi parce que le gouvernement a gardé les CHSLD dans son angle mort au début de la pandémie.

Alors que tous les signaux montraient que l’éclosion se préparait dans les maisons pour aînés, il regardait malheureusement ailleurs…

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L’idée, ici, n’est pas de trouver un coupable, mais bien de comprendre que l’envoi de soldats dans les CHSLD ne réglera pas à lui seul la crise qui menace la vie des résidants.

Les soldats sont un dernier recours dans un contexte où le Québec a perdu le contrôle de la situation dans les résidences pour aînés. Mais à eux seuls, les soldats ne régleront pas tous les problèmes.

Pour s’en convaincre, on peut tirer des leçons du premier de classe au pays : la Colombie-Britannique, où le virus a frappé en premier. La situation y est aujourd’hui sous contrôle, et ce, parce qu’on a réagi vite et bien. On ne s’est pas contenté de multiplier les paires de bras, autrement dit.

Rappelez-vous que c’est à Vancouver que le Canada a déploré son premier mort en lien avec la COVID-19. C’était le 8 mars dernier, et c’était dans un centre de soins de longue durée, le Lynn Valley Care Centre.

Dès lors, la Colombie-Britannique a compris que le champ de bataille serait les long term care facilities. D’autant qu’une résidence pour aînés près de Seattle avait connu quelques jours plus tôt une éclosion meurtrière liée à la COVID-19.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

« Si le gouvernement entend reprendre le contrôle des CHSLD, il ne pourra donc se contenter d’accueillir l’armée », souligne François Cardinal.

« La province a aussitôt compris qu’elle devait revoir tous ses protocoles, raconte Damien Contandriopoulos, professeur québécois à l’École de soins infirmiers de l’Université de Victoria. Elle a nationalisé le fonctionnement de toutes les résidences privées. Elle a uniformisé les conditions de travail de tous les employés. Tous les temps partiels sont passés à temps plein. Et les conditions de travail ont été resserrées partout. »

Si bien que les employés du réseau ne pouvaient alors plus se promener d’un centre à l’autre. Ceux qui s’occupaient des patients infectés ne pouvaient interagir avec ceux qui ne l’étaient pas. L’équipement de protection nécessaire a été rendu disponible.

Bref, dès le début de mars, toute l’attention de la province était concentrée sur les résidences pour aînés.

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Pendant ce temps, au Québec, nous n’en avions que pour la Chine et l’Italie. Pour les hôpitaux et les soins intensifs. Pour les respirateurs et l’allocation massive des ressources vers les centres hospitaliers.

Ça peut se comprendre, même se justifier. Facile de critiquer ce choix a posteriori, après tout.

N’empêche que la Colombie-Britannique est dans notre cour. C’est une autre province du même pays. Et donc, on peut se demander pourquoi les signaux en provenance de l’Ouest ne se sont pas rendus jusqu’ici. Pourquoi nous n’avons pas compris plus tôt que les foyers les plus propices à l’éclosion et à la transmission de la COVID-19 étaient les CHSLD et les maisons pour personnes âgées ?

« Nous avons trop tardé à réagir, c’est évident ! », lance Roxane Borgès Da Silva, professeure au département de gestion, d’évaluation et de politique de santé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« Je ne comprends pas que le Québec ne se soit pas inspiré plus tôt des règles appliquées en Colombie-Britannique. Il a fallu attendre au 2 avril, presque un mois plus tard, pour que ces établissements deviennent la priorité dans la lutte contre la COVID-19. »

Mme Borgès Da Silva comprend que, pendant une crise sanitaire, des décisions difficiles doivent être prises rapidement par les gouvernements sous l’influence de ce qui se passe ailleurs dans le monde.

Elle reconnaît d’ailleurs que le Québec n’est pas le seul à avoir priorisé le système hospitalier. En France aussi, il y a également énormément de morts en EHPAD, l’équivalent de nos CHSLD.

« Mais là-bas, précise la professeure, ils ont réquisitionné tous les étudiants en soins infirmiers et aides-soignants, contrairement au Québec, où le gouvernement semble composer avec des processus administratifs inefficients dans la gestion des ressources humaines. »

« Donc au moins, en France, les aînés meurent dans la dignité… »

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Pour retrouver la dignité au Québec, il faudra donc plus de monde dans les centres de soins de longue durée, bien sûr. Mais il faudra aussi améliorer les conditions de travail, les protocoles et les procédures sur le terrain pour mieux protéger employés et résidants.

Or, les témoignages sur le terrain montrent que ce n’est pas le cas partout. Des employés sont obligés de se promener d’un établissement à l’autre. Certains passent des zones chaudes aux zones froides, et vice versa. D’autres n’ont toujours pas l’équipement de protection suffisant pour se protéger. Et d’autres encore se sentent complètement laissés à eux-mêmes.

D’où le dépôt d’une plainte à la Commission des droits de la personne par le Conseil pour la protection des malades, cette semaine, qui juge que le Québec a tardé à autoriser et à ordonner des mesures exceptionnelles pour les aînés. Des mesures qui tardent toujours à être appliquées rigoureusement à certains endroits.

Si le gouvernement entend reprendre le contrôle des CHSLD, il ne pourra donc se contenter d’accueillir l’armée. Il devra resserrer les mesures restrictives qui ont trop tardé.

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