Roule-t-on sur l’or dès qu’on possède une maison, un chalet, une voiture ? Un parent peut-il être qualifié de démuni s’il achète des livres et assiste aux compétitions de ses enfants ? La pauvreté comme la richesse sont des concepts éminemment subjectifs et relatifs.

On doit tout de même se donner des balises pour savoir de qui on parle, au juste, quand il est question des personnes pauvres et des fortunées.

Chaque année, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) mesure la somme nécessaire pour vivre décemment, ce qu’il appelle le revenu viable. La crédibilité d’un tel exercice repose évidemment sur sa méthodologie, qui a d’ailleurs été revue. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est la partie la plus intéressante, car elle nous force à réfléchir sur ce qui constitue une dépense normale pour un Québécois en 2024.

Bien sûr, certains diront que les montants sont trop bas, qu’ils ne donnent aucune marge de manœuvre en cas de pépin. D’autres jugeront au contraire que certains postes budgétaires pourraient davantage être resserrés, qu’il y a toujours moyen de réduire dans tout. Les regards posés en disent long sur notre vision du monde, nos a priori, nos expériences.

Les chiffres dévoilés ce lundi par l’IRIS concernent sept localités du Québec et trois types de ménage. Pour mettre les choses en perspective, vous pouvez les comparer avec votre propre revenu disponible. L’information s’obtient en 20 secondes avec l’outil en ligne⁠1 du ministère des Finances.

Commençons avec le type de ménage le plus répandu du Québec, celui composé… d’une seule personne. On en dénombre 1,3 million, ce qui équivaut à 35 % de tous les ménages, une proportion qui croît sans cesse.

Une vie en solo hors de la pauvreté à Montréal requiert désormais un revenu disponible de 38 000 $, soit 19,3 % de plus que l’an dernier. La forte hausse du prix des logements et des aliments est en cause. Cela correspond à un salaire brut de 48 000 $ (26 $ l’heure) en tenant compte des crédits d’impôt pour la solidarité et la TPS.

C’est à Trois-Rivières que le coût de la vie est le plus faible. Avec 31 000 $, on peut subvenir à ses besoins de base et avoir un minimum de vie sociale et culturelle. Ce revenu équivaut à un salaire brut de 37 000 $ (20 $ l’heure).

Sept-Îles se trouve à l’autre bout du spectre avec un revenu viable de près de 44 000 $ (33 $ l’heure, brut). Ce montant plus élevé s’explique surtout par la nécessité d’avoir un véhicule. L’offre de transports en commun n’y est pas « fonctionnelle », selon l’IRIS, ce qui est crédible.

Le service de TaxiBus est accessible uniquement en semaine, sur réservation. Ça ne peut pas convenir aux besoins de tous les travailleurs. Une somme a aussi été allouée pour de longs déplacements hors région, nécessaires à l’occasion pour consulter un médecin spécialiste ou participer à un évènement culturel ou sportif. Cette réalité tend à nous échapper quand on réside dans un grand centre.

Dans les autres villes, le budget pour une vie « simple et décente » tient compte du prix des transports en commun, qui s’élève à environ 1100 $ par année. Un montant a été ajouté pour un déplacement mensuel en taxi, ce qui est très raisonnable.

Pour une famille de quatre personnes, dont deux enfants d’âge préscolaire, le revenu viable moyen dans la province frôle les 79 000 $.

Si les deux membres du couple gagnent 45 000 $ chacun, on peut donc dire qu’ils ont la tête hors de l’eau. Beaucoup d’arbitrages seront cependant nécessaires, notamment à l’épicerie. S’il y a un poste budgétaire qui peut facilement passer du simple au double, c’est bien l’alimentation. Déterminer ce qui est nécessaire, raisonnable, superflu n’est pas aisé.

Dans ses éditions précédentes, l’IRIS utilisait comme référence un panier d’épicerie qui assouvit uniquement les besoins nutritionnels, celui d’Alima. Son coût présume que tous les repas sont cuisinés à la maison, qu’aucun aliment non nutritif comme du maïs soufflé n’est consommé. Ce panier ne correspond plus à l’idée de « sortir de la pauvreté », mentionne la chercheuse Eve-Lyne Couturier. Il manque aussi de variété alors que les enfants en ont besoin pour leur développement.

Elle ajoute donc au panier d’Alima un montant additionnel pour permettre aux ménages de faire des choix, en plus d’avoir effectué des relevés de prix dans chaque ville par souci d’exactitude. Le coût du panier a ainsi bondi de 2000 $ pour les familles de Montréal, de 800 $ pour les personnes seules.

Le parent qui vit avec son enfant d’âge préscolaire dans un appartement de deux chambres aura besoin, en moyenne, de 50 000 $ dans ses poches… soit d’un salaire de 50 000 $. Eh oui, les impôts sont entièrement retournés sous forme d’allocations familiales et de crédits.

La question du transport est particulièrement intéressante pour ce type de ménage.

L’IRIS a utilisé Google Maps pour déterminer à l’aide d’une centaine de simulations s’il était possible pour un parent au Saguenay de quitter le bureau à 17 h, de passer à la garderie et de rentrer chez lui pour 18 h… tout ça en transports en commun.

La réponse est non 65 % du temps. Je m’attendais à pire. Même en habitant à moins de 10 kilomètres des bureaux de La Presse, je n’ai presque jamais réussi, en utilisant le métro, l’autobus, mes jambes et une poussette, à faire ce type de parcours en moins d’une heure. Qui veut récupérer son enfant de 2 ans à 17 h 56 ? Bref, à Saguenay, les parents en solo ont besoin d’une auto.

Évidemment, en pleine crise du logement, la question des loyers a été cruciale. En scrutant Kijiji à la loupe, l’IRIS a constaté que les prix des logements sur le marché n’ont rien à voir avec les prix moyens établis par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Celle-ci inclut autant les logements occupés par le même locataire depuis 10 ans que ceux actuellement sur le marché.

Les données de la SCHL « sous-estiment largement ce que paient les familles ayant de jeunes enfants », qui, « dans la majorité des cas », n’habitent pas à la même adresse depuis des lustres, note Eve-Lyne Couturier. Un déménagement, a-t-elle calculé, peut faire bondir le coût du logement jusqu’à 25 %.

Une somme forfaitaire couvre les autres nécessités comme les lunettes, le dentiste, la téléphonie. Cette somme permet aussi quelques activités sociales, des bouquins, de modestes vacances et les tournois de soccer des enfants.

En somme, l’exercice permet de constater qu’il faut entre 6 et 19,3 % plus d’argent que l’an dernier pour vivre décemment. Ce n’est pas pour rien que l’anxiété financière est en croissance, tout comme le recours aux banques alimentaires.

1. Consultez l’outil de Québec pour découvrir votre revenu disponible Consultez le rapport de l’IRIS