Qui gagne le plus, une infirmière, un chauffeur d’autobus ou une enseignante ?

Cette question, de nombreux lecteurs me l’ont posée la semaine dernière, notamment des femmes, après la parution de ma chronique sur la rémunération des chauffeurs d’autobus. Elle devient d’actualité avec la grève qui débute pour les employés du gouvernement du Québec. Y a-t-il injustice ?

Le réseau de l’éducation compte environ 131 000 enseignants, souvent des femmes, et celui de la santé, 83 000 infirmières, avec peu d’hommes. Ces deux groupes représentent donc, à eux seuls, 36 % des employés de l’État en négos.

Alors, qui gagne le plus ? Ça dépend. La réponse courte : les chauffeurs d’autobus. La réponse longue : les infirmières, suivies de près par les enseignantes.

Les comparaisons sont difficiles à faire, dois-je dire, puisque la rémunération varie selon les années d’expérience, la formation, le quart de travail, les heures supplémentaires et les avantages sociaux.

Pour les chauffeurs, j’ai choisi la Société de transport de Montréal (STM), puisqu’elle compte de loin le plus grand contingent⁠1.

D’abord, il faut savoir que les chauffeurs de la STM atteignent le sommet de leur échelle après seulement 3 ans ou, autrement dit, à la 4année. Le salaire d’entrée est de près de 58 000 $ si on annualise les taux horaires de la convention collective. Et après 3 ans, la paye grimpe à 71 261 $.

Avec 5 ans d’expérience – mon premier point de comparaison –, ils gagnent donc davantage que les enseignantes et autant que les infirmières cliniciennes (celles qui détiennent un bac). Les chauffeurs se font doubler par les enseignantes après 8 ans de travail, environ.

Par exemple, avec 10 ans d’expérience, une infirmière clinicienne empoche 85 300 $ et une enseignante, 77 350 $. L’écart avec les chauffeurs s’accroît avec le temps.

Tout de même, les chauffeurs sont bien payés, puisque leur travail n’exige qu’un diplôme du secondaire et une formation professionnelle, contre un bac universitaire de deux ans pour les infirmières (en plus d’un DEC de trois ans) et un bac de quatre ans pour les enseignantes.

Justement, le sommet de l’échelle est atteint bien plus tard pour les enseignants (13 ans, 92 027 $) et les infirmières (13 ans, 93 561 $), une différence que l’on constate parfois entre les métiers et les professions.

Le temps de travail officiel pour obtenir ces salaires est aussi passablement différent, celui des chauffeurs de la STM étant de 40 heures par semaine, contre 37,5 heures pour les infirmières et 32 heures pour les enseignants.

La comparaison, encore une fois, est bancale, puisque les enseignants font souvent des tâches hors des heures normales de travail. Les enseignants ont aussi davantage de vacances associées à ces salaires.

Autre difficulté de comparaison : les avantages sociaux, comme les régimes de retraite.

À la STM, qui est plus généreuse que les autres sociétés de transport, les avantages sociaux ajoutent environ 35 % au salaire, contre environ 22 % pour les enseignants et les infirmières, selon mes recherches.

Les chauffeurs et les infirmières peuvent aussi cumuler des heures supplémentaires, ce que ne peuvent pas faire les enseignantes. Par exemple, pour les chauffeurs de la STM, la rémunération moyenne en 2022 s’élevait à 83 140 $, ce qui est bien supérieur au salaire maximal conventionné de 71 260 $, notamment en raison des heures supplémentaires bien payées.

Les infirmières touchent aussi des primes de 4 % à 8 % pour les heures de soir et de 11 % à 16 % pour les heures de nuit. Leur salaire est donc plus élevé que celui des infirmières qui travaillent seulement de jour. L’écart peut avoisiner les 10 000 $ pour une infirmière d’expérience qui travaille 90 % de son temps la nuit.

Les infirmières techniciennes font environ 10 000 $ de moins que celles qui ont un bac après 10 ans d’ancienneté.

Mon verdict : les chauffeurs sont probablement trop payés, en incluant les avantages sociaux, et les enseignants et infirmières, pas assez. La différence vient surtout de l’employeur pour qui ils et elles travaillent, les municipalités ayant été bien plus généreuses que le gouvernement du Québec depuis 25 ans, obsédé par les déficits. Il y a aussi eu une discrimination systémique envers les métiers féminins, visiblement.

Les demandes de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) comprennent plusieurs clauses salariales, notamment de nouvelles primes. Les infirmières veulent aussi que le gouvernement balise leur charge de travail, en établissant un ratio de patients par infirmière et en abolissant les heures supplémentaires obligatoires, entre autres.

Du côté des enseignants, la lourdeur des classes régulières est au cœur des négos. Ils veulent que le gouvernement accepte un mécanisme pour mieux équilibrer les classes et, passé un certain seuil d’élèves difficiles, que le gouvernement ajoute des ressources ou forme des classes spécialisées.

L’écart entre les demandes et les offres salariales est encore abyssal. Le front commun syndical demande une majoration salariale qui équivaut à une hausse de 21 % sur trois ans, alors que le gouvernement offre 10,3 % sur cinq ans, en plus d’une enveloppe équivalant à 3 % pour des primes ciblées et une somme forfaitaire de 1000 $.

Je doute que le gouvernement s’engage au-delà de ce que sera l’inflation au cours des cinq années du contrat de travail proposé. Les experts du ministère des Finances estiment que l’inflation augmentera de 12,7 % d’ici cinq ans (sans calculer l’effet composé).

1. Les salaires moyens des chauffeurs d’autobus et opérateurs de métro de la STM sont environ 3 % plus élevés que la moyenne des chauffeurs de l’ensemble des grandes sociétés de transport (y compris la STM). L’écart grimpe à 5,6 % quand on englobe les avantages sociaux.

Rectificatif
Une version précédente de ce texte indiquait que les infirmières atteignaient le sommet après 17 ans d’ancienneté, alors que c’est plutôt 13 ans (pour les temps plein). Elles grimpent aussi plus rapidement les échelons au cours des premières années (aux 6 mois). Les salaires ont été corrigés pour tenir compte de ces changements.