Le nombre de plaintes de voyageurs qui s’accumulent à l’Office des transports du Canada (OTC) est devenu grotesque : 61 411.

Chaque mois, la pile grossit à un rythme franchement décourageant, ce qui nuit, il faut bien le dire, à la crédibilité de notre système de protection des passagers aériens. Pour renverser la tendance, un nouveau processus de traitement plus rapide est utilisé depuis maintenant un mois. L’ère de l’inefficacité est-elle enfin terminée ?

Il faudra attendre l’an prochain pour avoir un début de réponse à cette question. Mais l’OTC promet d’accélérer le rythme grâce à ses nouvelles façons de faire et à l’embauche de personnel.

Jusqu’ici, 40 personnes ont été recrutées et formées pour rendre des décisions. Une soixantaine d’autres sont recherchées. L’ajout de personnel ne peut pas nuire. Dans l’ancien processus, seules cinq personnes à temps plein et jusqu’à trois « temporaires » avaient le pouvoir de trancher quand la médiation n’avait pas fonctionné. C’était très peu.

Mais c’est surtout la nouvelle règle des 90 jours qui aura un impact significatif.

Depuis l’entrée en vigueur de la Charte des voyageurs, il n’y avait pas de limite de temps pour clore un dossier. Cette erreur a été corrigée. Désormais, toute plainte doit être traitée et fermée dans un de délai trois mois… après sa prise en charge.

Cette règle s’applique aux vieux dossiers, mais vous aurez compris qu’il ne faut pas sauter de joie trop vite si on est en attente d’une indemnisation. Étant donné l’arriéré monstre, le temps de prise en charge se compte en années. Dieu seul sait à quel moment l’OTC aura repris le contrôle de la situation. L’organisme ne s’est pas fixé d’objectif, car le nombre de nouvelles plaintes qui seront reçues est imprévisible, justifie-t-il. Au plus croit-on que l’ensemble des plaintes de 2021 aura été éliminé en février 2024.

« On va extraire le maximum de productivité de ce nouveau processus », m’a assuré le directeur général de l’analyse et de la liaison de l’OTC, Tom Oommen avec beaucoup de conviction. « On veut éliminer le backlog [arriéré] et on va le faire. »

Faisons quelques calculs ensemble pour nous donner une idée. En octobre, 250 plaintes par semaine ont été traitées. C’est légèrement inférieur au rythme de croisière en début d’année (260 dossiers), mais mieux que la moyenne de l’an dernier (217).

Pour supprimer l’arriéré en deux ans, grosso modo 100 semaines, il faudrait que les employés de l’OTC traitent plus de 600 plaintes par semaine. La marche est donc très haute. Et ce calcul ne tient pas compte du fait que les dossiers ne cessent jamais de rentrer !

Du 1er juillet au 30 septembre, pas moins de 11 232 plaintes ont été reçues, soit 1604 de plus qu’au cours de la même période l’an dernier.

La tendance à la hausse devrait se maintenir grâce à une autre nouveauté. À compter de janvier, les décisions rendues par l’OTC seront publiées sur son site web, ce qui permettra de voir si d’autres passagers d’un vol qui nous a occasionné des soucis ont réussi à être indemnisés.

En revanche, la nouvelle plateforme de règlement des différends d’Air Canada, qui utilise l’intelligence artificielle pour faire des offres pécuniaires aux clients mécontents, pourrait réduire le volume de plaintes en attente devant l’OTC. En moins d’un mois, 2000 personnes ont accepté le montant qui leur était offert, m’a précisé le transporteur aérien⁠1.

Air Canada est, et de loin, la ligne aérienne générant la plus grande proportion de plaintes transmises à l’OTC. Selon l’entreprise Vol en retard qui aide les voyageurs à faire valoir leurs droits, le transporteur conteste presque systématiquement toutes les demandes d’indemnisation qui lui sont transmises.

Soyons honnêtes : la taille d’Air Canada joue ici en sa défaveur. Quand on compare le nombre de plaintes pour 100 vols, le palmarès change. Cela dit, il faut que le transporteur gère mieux les plaintes pour désengorger l’OTC.

Même si le nouveau processus de traitement est plus rapide, ça ne veut pas dire qu’il sera plus facile pour les consommateurs d’obtenir gain de cause en cas de retard, d’annulation ou de surréservation. Oui, le fardeau de la preuve a été renversé, mais les experts du domaine prédisent que les compagnies aériennes vont encore trouver le moyen d’interpréter le règlement à leur avantage, pour ne pas sortir le chéquier. Tom Oommen tente de se faire rassurant : « La preuve doit être convaincante. »

On verra à l’usage si la satisfaction et la confiance des voyageurs bondissent. J’ai aussi des doutes.

Ceux qui visitent l’Europe et déposent des réclamations rêvent d’un système aussi efficace au Canada.

« Je vous souligne qu’Air France est d’une efficacité incroyable ! Trois jours après avoir rempli ma demande sur leur site pour un retard de plus de 3 heures, je recevais un appel m’offrant une indemnité de 650 € par personne, lequel fut déposé dans mon compte bancaire dans les 48 heures ! », m’a écrit Jean, cette semaine.

En septembre, Yvan a manqué deux vols en raison de retards avec KLM. Dix jours plus tard, il était indemnisé par le transporteur aérien, mais il attend toujours le dénouement d’une plainte déposée à l’OTC en août 2022 pour un vol d’Air Canada annulé. « Ma plainte est maintenant la 8908e dans la file d’attente. »

Contrairement à ce que dit l’adage, en matière d’indemnisation des voyageurs, quand on se compare, on se désole.

1. Lisez la chronique « L’IA propose de l’argent aux clients mécontents d’Air Canada »