Le premier ministre François Legault a profité de l’inauguration du complexe de la Romaine, jeudi, pour réaffirmer son intention de relancer le Québec dans le développement de nouvelles capacités de production hydroélectrique. Les Québécois ne sont pas contre les grands projets, ils veulent juste être convaincus de leur pertinence et de leur absolue nécessité.

Au-delà de l’incontournable transition énergétique qui commandera de la production électrique additionnelle pour que le Québec puisse atteindre d’ici 2050 ses objectifs de carboneutralité, beaucoup de Québécois s’interrogent sur l’utilisation que l’on fera des kilowattheures additionnels que l’on veut installer.

On le sait, pour satisfaire aux besoins de la population québécoise, desservir ses clients industriels et honorer ses contrats fermes d’exportation, Hydro-Québec devra augmenter d’au moins 50 % sa production d’énergie renouvelable d’ici 2050. On parle de 100 térawattheures devant s’ajouter à la capacité maximale installée actuelle de 179 térawattheures.

Cette commande qui semble déjà démesurée ne sera pas remplie par la seule optimisation des capacités de production actuelles – avec l’installation de turbines plus performantes – ou l’ajout de puissance éolienne ou solaire ; il faudra construire de nouveaux barrages et aménager de nouveaux gigantesques réservoirs dont l’impact environnemental reste hautement problématique.

Pourtant, le premier ministre ne semble pas vouloir limiter son appétit à doter le Québec d’une force de frappe en énergie renouvelable inégalée afin de réaliser son ambition de faire de l’État québécois la batterie verte du nord-est de l’Amérique.

François Legault évoque maintenant l’éventualité d’une capacité additionnelle de 150 térawattheures – l’équivalent de 19 complexes hydroélectriques comme celui de la Romaine – pour permettre au Québec de maximiser son potentiel industriel et attirer de nouveaux investissements étrangers.

Son obsession pour l’augmentation du niveau de vie des Québécois par rapport à celui des Ontariens, en faisant miroiter le mirage de l’électricité comme moyen d’y arriver, comporte pourtant d’importants risques qu’il faut absolument mitiger.

Québec va évidemment attendre la mise à jour du Plan stratégique 2022-2026 d’Hydro-Québec que doit déposer prochainement son nouveau PDG Michael Sabia, mais, on le sait, François Legault veut se servir de l’énergie renouvelable québécoise comme force d’attraction industrielle.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Le premier ministre François Legault lors de l’inauguration du complexe hydroélectrique de la Romaine, jeudi

Est-ce que la construction de nouveaux barrages va devenir le prochain troisième lien, une promesse audacieuse qui ne risque pas de se matérialiser tellement la complexité et les coûts des projets vont être élevés et leur pertinence remise en question ?

On le sait, en cette ère de transition énergétique, la sobriété reste un facteur essentiel dont il faut constamment tenir compte tant aux étapes de la production que de la consommation, surtout avec la volatilité grandissante induite par les changements climatiques.

À titre d’exemple, Radio-Canada rapportait jeudi les dernières données colligées par la Régie de l’énergie qui démontrent que les stocks d’énergie sont à leur plus bas en huit ans dans les barrages d’Hydro-Québec.

En mai dernier, on prévoyait que les stocks d’eau emmagasinés dans les 27 réservoirs de la société d’État allaient totaliser 124 térawattheures au 1er janvier 2024. Le plus récent État des réserves et de la fiabilité énergétique indique plutôt que ces réserves vont atteindre 104 térawattheures, soit une baisse de 20 térawattheures ou 16 %.

Résultat : Hydro-Québec devra réduire ses exportations d’électricité, une baisse que le ministère des Finances chiffre à 650 millions en perte de revenus attendue d’Hydro-Québec.

Cette contre-performance d’Hydro-Québec, la pire depuis 2015, est attribuable aux faibles pluies enregistrées dans le Nord québécois durant le mois de juin, une sécheresse qui a entraîné la série d’incendies de forêt qu’on a subie durant les mois de juin et juillet.

On aura beau construire de nouveaux barrages, quelle sera leur optimisation dans 20 ou 30 ans lorsque le réchauffement climatique aura poursuivi ses inéluctables avancées ?

Au cours des cinq dernières années, j’ai pris le temps durant l’été d’aller visiter trois grands complexes hydroélectriques québécois, celui de LG-2 à la Baie-James, celui de Manic-Outardes au nord de Baie-Comeau et enfin la Romaine en Basse-Côte-Nord.

Chaque fois, c’est avec la même fascination que j’ai contemplé ces immenses ouvrages dont on a peine à imaginer qu’ils ont été bâtis à sueur d’hommes et de femmes. Le Québec est capable de réaliser de grands projets, mais encore faut-il que les conditions qui permettent de pleinement les exploiter soient au rendez-vous.