Les Québécois sont-ils favorables au développement du pétrole ? Voient-ils d’un bon œil la construction d’un pipeline qui traverserait la province ?

Je croyais que non, mais à en croire un sondage de l’Institut économique de Montréal (IEDM) – un organisme propétrole –, la réponse est majoritairement oui à ces deux questions.

Le sondage amène le groupe de réflexion de droite à interpeller les élus pour leur faire comprendre, en quelque sorte, que leurs électeurs seraient plus enclins à voter pour eux s’ils ne s’opposaient pas au pétrole. « La population est bien moins fermée à la mise en valeur de nos ressources énergétiques que le sont ses représentants à l’Assemblée nationale », est-il écrit dans le communiqué de l’IEDM sur les résultats du sondage, mené début août.

Comment décoder cet appui au pétrole dans le contexte du réchauffement climatique, de l’impact majeur des énergies fossiles sur ce réchauffement, des incendies de forêt qui ont ravagé une partie du Canada et des records mondiaux de température ?

Surtout, est-ce bien vrai que les Québécois appuient le pétrole et les pipelines ?

Voyons voir.

Selon le sondage, 51 % des Québécois se disent d’accord avec l’exploitation des ressources pétrolières ici même, au Québec. Plus encore, 61 % seraient favorables au « développement de pipelines et de gazoducs », selon le communiqué de l’IEDM. L’appui pancanadien aux pipelines atteindrait 67 % ⁠1. Wow !

Mais voilà, les questions posées ne sont pas neutres. Et tout indique qu’elles influencent les réponses dans le sens souhaité par l’IEDM.

Tous les experts en sondage le disent : le libellé des questions est très important. La réponse à une question sera plus positive si la question fait ressortir les avantages d’une proposition ou plus négative si elle en souligne les inconvénients.

Autre remarque : la question sur le développement d’un pipeline, par exemple, ne mentionne pas le mot pipeline – pourtant utilisé dans le communiqué des résultats –, mais le terme « infrastructure », moins péjoratif.

La question sur le pipeline commence par l’affirmation selon laquelle le Canada est très dépendant des États-Unis pour ses exportations de pétrole. Et elle se poursuit en expliquant qu’une « nouvelle infrastructure menant aux ports de la Colombie-Britannique ou dans l’est du Canada […] permettrait d’atteindre de nouveaux marchés en Europe et en Asie. Êtes-vous en accord avec cette suggestion ? »

Bref, la question explique l’argumentaire de l’industrie et ne mentionne pas le mot honni. L’appui de 61 % aurait-il été le même si la phrase d’introduction avait parlé des impacts environnementaux d’un pipeline ?

Par ailleurs, la question qui demande aux Québécois s’ils sont favorables à l’exploitation des ressources pétrolières de leur territoire est précédée par l’affirmation : « Le Québec doit importer (de l’Ouest canadien ou de l’étranger) tout le pétrole qu’il consomme. »

Et il met les répondants devant un choix, à savoir s’il est préférable pour « le Québec d’exploiter ses propres ressources ou de continuer d’importer 100 % du pétrole dont il a besoin ».

L’appui de 51 % aurait-il été le même si la question avait mentionné qu’un tel développement nuirait aux objectifs de carboneutralité d’ici 2050 et contribuerait au réchauffement planétaire ?

Autre question difficile à interpréter : « Êtes-vous prêt à payer plus de taxes afin de lutter contre les changements climatiques ? » Quelque 61 % des répondants sont contre. Autrement dit, les élus doivent éviter de financer la lutte contre les changements climatiques, bien qu’il s’agisse du plus important défi de notre époque, selon le secrétaire général de l’ONU, António Guterres.

Pourquoi est-ce difficile à interpréter ? Parce que dans tous les sondages, les contribuables sont toujours défavorables à une hausse des taxes, peu importe le sujet. Pour mieux apprécier, il aurait fallu comparer le taux de réponse défavorable avec celui pour d’autres mesures (des hausses d’impôt pour la santé, pour l’éducation, pour la pauvreté, etc.).

Ces derniers mois, d’autres sondages ont donné des résultats différents quant à l’appui des Québécois au pétrole. Le plus fiable, selon moi, a été fait pour le compte de l’Université d’Ottawa en janvier dernier (donc avant les incendies de forêt).

Selon ce sondage, les Québécois appuient à 43 % le développement du secteur pétrolier et gazier canadien, mais s’y opposent à 49 %. L’appui moyen canadien est de 58 %. Le niveau de soutien est bien plus important pour le développement des énergies renouvelables (94 % au Canada et 95 % au Québec).

Les questions à ce sujet sont posées directement, sans préambule explicatif. Les réponses contredisent l’impression favorable qui se dégage du sondage de l’IEDM.

En revanche, faut-il dire, les deux sondages obtiennent un taux d’appui canadien semblable à la proposition d’augmenter les exportations de pétrole et de gaz pour améliorer la fiabilité et la sécurité de l’offre mondiale d’énergie (62 % pour l’Université d’Ottawa) ou dans le contexte de la guerre en Ukraine (63 % pour l’IEDM).

Le directeur des communications de l’IEDM, Renaud Brossard, note que le terme pipeline est absent de la question du sondage et n’est pas fermé à l’idée de la modifier dans le sondage de l’an prochain.

L’IEDM, répond-il, ne nie pas qu’il y ait des changements climatiques. L’organisme juge toutefois qu’il faut une approche mondiale : un mètre cube de gaz qui n’est pas vendu par le Canada sera vendu par un autre pays de toute façon. Il faut une approche qui ne touche pas seulement l’offre d’énergie fossile, mais aussi la demande, dit M. Brossard.

L’IEDM ne s’est pas prononcé sur la taxe carbone, qui contraint la demande. Et bien sûr, l’organisme n’affirme pas, comme les environnementalistes, que la carboneutralité est impossible s’il y a de nouveaux développements d’énergie fossile.

Selon l’IEDM, les contribuables doivent plutôt financer davantage le captage de carbone, et l’industrie pétrolière ne doit pas être freinée dans son développement. Actuellement, les mesures incitatives des gouvernements canadiens couvrent le quart des coûts du captage de carbone, comparativement aux deux tiers aux États-Unis, selon l’IEDM.

L’organisme, qui se dit indépendant, a le secteur pétrolier comme deuxième source de financement budgétaire (7,3 %), indique son site web. Des fondations diverses, non dévoilées, apportent le plus gros du budget de l’IEDM (73,7 %).

Quoi qu’il en soit, les Québécois n’appuient probablement pas majoritairement le développement du pétrole, comme l’affirme l’IEDM, mais ils restent très nombreux à y être favorables, visiblement. N’est-ce pas préoccupant ?

1. La marge d’erreur du sondage, mené par la firme Ipsos auprès de 1063 Canadiens, est de 3,3 %, 19 fois sur 20. Cette marge n’est pas précisée pour le sous-groupe des 408 Québécois, mais on peut l’estimer à environ 5 %.

Consultez le sondage de l’IEDM « Les besoins énergétiques du Canada et du Québec » Consultez le sondage de l’Université d’Ottawa (en anglais)