Environ le tiers des Canadiens croient que le manque de concurrence dans le secteur de l’alimentation au détail serait à l’origine de la tempête inflationniste que nous connaissons ces temps-ci à l’épicerie. Eux, ils ont tout compris.

En ce moment, le Bureau de la concurrence analyse le contexte de l’industrie alimentaire et déposera son rapport en juin, mais en parallèle, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes (auquel de nombreux experts ont participé, dont les PDG de grandes chaînes d’alimentation canadiennes) étudie l’inflation alimentaire.

Le temps nous dira si l’enquête parlementaire nous apportera une solution, mais plusieurs doutent que l’exercice aboutisse à quelque chose. Entre-temps, plus de 30 % des citoyens croient que les commerçants sont grandement responsables pour les prix élevés, même si le Canada affiche toujours le troisième taux d’inflation alimentaire parmi les plus bas au sein du G7. Le globe au complet se voit affecté par la situation actuelle.

Notre problème ne provient pas des détaillants spécifiquement, mais il émane surtout de notre relation dysfonctionnelle avec la notion de compétitivité.

Notre laboratoire des sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, en collaboration avec Caddle, a récemment mené un sondage auprès d’environ 10 000 Canadiens pour connaître leur niveau de confiance envers les épiciers et la compétitivité du marché de la distribution alimentaire au pays.

Plus du tiers, soit 33,4 % des gens sondés, souhaiteraient plus de concurrence au Canada. C’est ce qu’ils souhaitent plus que tout, même plus que des gels de prix ou des programmes de fidélité plus généreux. Ce groupe de Canadiens a littéralement tout compris puisque c’est précisément là que le bât blesse au pays : le manque de concurrence.

Un rapport publié récemment par le Centre sur la productivité et la prospérité à HEC Montréal arrive au même constat. Ses auteurs Robert Gagné, Jonathan Deslauriers et Jonathan Paré ont intitulé cette recherche Retard de productivité du Canada : et si la réponse se trouvait du côté de la concurrence ?.

Essentiellement, la conclusion du rapport nous révèle que l’intensité de la concurrence au Canada serait tout simplement déficiente pour générer les incitations nécessaires à stimuler la compétitivité des entreprises. Bien sûr, le document vise l’ensemble de l’économie, mais cette observation s’applique au domaine agroalimentaire où tout le monde protège son territoire.

Le rapport va même encore plus loin. Les entreprises ont historiquement prospéré dans de petits marchés « intérieurs », cloisonnés au niveau des provinces et protégés par des réglementations gouvernementales qui considéraient la concurrence étrangère comme une menace pour une économie de petite taille comme celle du Canada.

Le syndrome de la petitesse et de l’infériorité a façonné nos institutions depuis très longtemps. Les mentalités ont bien changé, mais les institutions et nos barrières entre provinces demeurent.

Cette dispersion et cette segmentation géographique de l’économie canadienne ont empêché les entreprises d’être exposées à des forces concurrentielles importantes, ce qui a entraîné une absence de développement des réflexes en matière d’investissement et d’innovation nécessaires à l’amélioration de leur productivité. En s’intéressant au marché international, le protectionnisme a fait du Canada un marché moins intéressant pour les investisseurs.

Le niveau de productivité anémique comparativement à celui des États-Unis ne changera pas de sitôt. Si rien n’est fait, notre productivité continuera de traîner la patte, selon le rapport de HEC Montréal. Les chercheurs ont raison, surtout pour le domaine agroalimentaire. La culture de la concurrence au Canada reste déficiente et surtout mal comprise.

Il y a tout de même de l’espoir. Pour donner une chance à la concurrence, plusieurs travaillent depuis des années sur un code de conduite pour l’industrie. Le sondage de l’Université Dalhousie portait aussi sur le projet du « Code de conduite de l’épicerie », pour lequel nous devrions recevoir une mise à jour de la ministre Marie-Claude Bibeau en avril.

Nous avons demandé si les Canadiens appuyaient le « Code de conduite de l’épicerie » qui réduirait l’influence de certains épiciers importants et aiderait les détaillants et les transformateurs indépendants.

Parmi les Canadiens qui connaissaient le projet du « code d’épicerie », 68,1 % appuient un tel code. Ce pourcentage s’avère beaucoup plus élevé que ce que nous anticipions.

Le Code de conduite de l’épicerie ne comporte pas seulement un ensemble de règles. Sans le savoir, il prend la forme d’une bouée de sauvetage pour les consommateurs. Il garantit des prix équitables, la transparence, la cohérence et la responsabilisation des détaillants, offrant aux consommateurs la tranquillité d’esprit qu’ils méritent lorsqu’ils achètent leur nourriture.

Une bonne nouvelle en soi. Mais avant de blâmer les épiciers, il faut d’abord se questionner sur nos conditions de marché qui ont toujours étouffé la concurrence, sans s’en rendre compte. Et dès que quelque chose va mal, nos détaillants deviennent une cible facile.