« En vivant seul, on s’aperçoit que le domaine alimentaire n’a pas adapté son offre de produits pour les gens qui vivent seuls. » Statistique Canada nous offrait un portrait démographique intéressant la semaine dernière, précisément sur la composition des ménages au Canada.

Nous dénombrons 4 316 015 ménages composés d’une seule personne. Il s’agit d’une augmentation de presque 9 % en cinq ans. En 2016, les ménages comptant une seule personne devenaient le type de ménage le plus populaire pour la première fois au cours des 150 ans d’histoire du Canada. En effet, 28 % des ménages ne comptaient qu’une seule personne.

En 2021, nous atteignons 29 %, soit presque trois ménages sur dix. Bien que le Canada affiche la plus faible proportion de ménages composés d’une seule personne au sein du G7 après les États-Unis, notre pays rattrape tranquillement les autres. Au total, 56 % d’entre eux vivent dans un appartement ayant moins d’espace de rangement qu’une maison ordinaire.

Certes, avec la montée des prix immobiliers ces dernières années, tout porte à croire que ce chiffre diminuera. Mais Statistique Canada maintient que le ratio des ménages à un augmente toujours, même depuis le début de la pandémie, alors que les prix augmentaient de façon spectaculaire. Selon toute vraisemblance, le nombre de ménages comportant une seule personne continuera d’augmenter dans les prochaines années.

Une seule visite à l’épicerie nous permet de constater que le marché alimentaire s’adapte mal aux gens qui vivent seuls.

Le comptoir de prêt-à-manger offre bien sûr des repas en portions individuelles, mais les prix dépassent en moyenne de 40 à 50 % le prix des ingrédients qui les composent si nous les cuisinions à la maison. Malgré la prime, ces produits s’adressent généralement aux gens qui vivent seuls, puisque cuisiner une portion unique n’est ni motivant ni agréable.

Pour le reste du magasin, le constat aggrave la situation. Les remises sur volume (achat de produits en plus grande quantité pour économiser de l’argent) sont vivement contestées par les personnes seules. Ces promotions s’adressent essentiellement à ceux qui ont besoin de beaucoup de nourriture à la fois. Acheter en grande quantité pour épargner a du sens, mais demander d’acheter trois ou quatre unités pour le prix de deux ou trois incite à gaspiller davantage.

Les remises sur volume semblent populaires auprès des Canadiens, mais cette façon de faire soulève des questions d’équité et d’éthique.

Un de nos récents sondages a étudié la question et nous a indiqué qu’il existe effectivement un certain malaise. Alors qu’au total, 73 % des Canadiens essaient de profiter des remises sur volume la plupart du temps, 54 % estiment que les remises sur volume s’avèrent injustes ou même discriminatoires pour les petits ménages ou les personnes seules. Et 92 % d’entre eux sont des ménages composés d’une seule personne. Même 47 % estiment que les remises sur volume entraînent davantage de gaspillage alimentaire.

Les remises sur volume résultent vraisemblablement de l’arrivée en force de Costco au Canada en 1985. Afin de contrer l’invasion de l’achat à grand volume, les principales enseignes misent depuis sur les remises sur volume. Pendant ce temps, les gens qui n’ont pas besoin de quatre citrons ou de six bouteilles de sauce payent le plein prix.

Les gens seuls ont souvent un salaire fixe qui ne s’ajuste pas au véritable coût de la vie.

Au cours des prochaines années, les épiciers devront prendre conscience de cette réalité démographique et économique. Sympathiser avec cette clientèle deviendra crucial.

Il reste énormément de chemin à parcourir pour que l’offre alimentaire canadienne atteigne un niveau acceptable en matière de production d’aliments transportables en portions individuelles. Des marchés comme le Japon et l’Europe ont une franche longueur d’avance.

Voilà tout de même une belle occasion pour les détaillants. Le café nous a fourni le parfait exemple. Les portions avec capsule individuelle représentent maintenant 35 % du marché au Canada. De plus, l’offre à portions individuelles ne s’arrête pas aux gens seuls.

Même les rassemblements de nombreuses personnes incluant la famille et les amis peuvent changer. Un hôte peut proposer plusieurs choix de portions individuelles aux invités. L’un peut manger de la lasagne tandis qu’un autre peut préférer un braisé ou une belle salade de thon. Un avantage secondaire qui représente une meilleure gestion des déchets. Les portions individuelles produisent probablement moins de restes et donc moins de déchets.

Le concept de portions individuelles déboucherait sur une économie alimentaire ultra-personnalisable. Les possibilités deviennent infinies. Pâtes, pain, tartes, céréales, salades, vins, produits laitiers − tout pourrait se vendre pour le seul groupe démographique. Mais l’emballage écoresponsable doit aussi suivre, bien évidemment.