Bien que lucratives, les journées de soldes du Vendredi fou et du Cyberlundi sont aussi synonymes de pression pour bien des détaillants québécois qui n’ont d’autre choix que d’« embarquer dans la game », reconnaissent-ils.

Et pour cause, près de 42 % des consommateurs québécois ont l’intention de profiter de ces aubaines cette année, une hausse de 13 points par rapport à l’an dernier, selon les données révélées récemment par le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD).

S’ils veulent acheter en solde, ils ont aussi l’intention de réduire leurs dépenses des Fêtes cette année, avec une baisse de 11 % du budget consacré aux cadeaux pour l’ensemble des Canadiens par rapport à 2022, révélait en octobre un sondage réalisé par la firme comptable Deloitte. Raison de plus pour que les détaillants jouent du coude à compter de ce vendredi, avec des offres surprenantes, pour attirer les gens dans leur magasin ou sur leur site web.

« Je ne sais pas si on peut parler de pression. C’est une opportunité marketing, en fait. Je pense que les PME n’ont pas le luxe de passer à côté », déclare d’emblée Marie Beaupré, cofondatrice des Mauvaises herbes, entreprise spécialisée dans la préparation et la mise en vente de produits naturels de soins corporels et ménagers.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Marie Beaupré, cofondatrice des Mauvaises herbes

Oui… c’est un peu une pression, parce que passer à côté de ça, c’est rater beaucoup de ventes, rater de nouveaux clients.

Marie Beaupré, cofondatrice des Mauvaises herbes

Bien que ces journées qui lancent en quelque sorte la période de magasinage des Fêtes encouragent, selon beaucoup, la surconsommation, Mme Beaupré affirme qu’il en va de la survie des entreprises.

Et les PME qui ont bénéficié du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) pendant la pandémie ont jusqu’au 18 janvier 2024 pour rembourser leur prêt si elles veulent en conserver une partie en subvention. Plusieurs comptent donc sur la période de Noël pour renflouer leurs coffres afin de pouvoir rembourser rubis sur l’ongle.

« On n’est plus tant dans la vertu. On veut rester en vie, on veut être viables économiquement. On n’a plus le choix d’embarquer là-dedans », ajoute Mme Beaupré.

Cofondatrice de la chaîne de magasins de chaussures L’intervalle, qui compte 16 boutiques à travers le pays, Vicky Scalia reconnaît également ne pas pouvoir échapper à ce tourbillon.

Les attentes des clients

« La plupart de nos magasins sont dans de gros centres commerciaux, mentionne-t-elle. Je joue contre des joueurs américains. C’est ancré dans la culture. Tout le monde s’y attend. Les consommateurs se sont beaucoup habitués à ça. »

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Vicky Scalia, cofondatrice des magasins de chaussures L’intervalle

Si on veut faire partie de la game, on n’a pas le choix. Il faut rentrer là-dedans.

Vicky Scalia, cofondatrice des magasins de chaussures L’intervalle

« Les clients vont attendre le Black Friday pour faire leurs achats des Fêtes, ajoute Marie Beaupré. Il faut offrir de la valeur, mais sans se mettre dans le trou financier, précise-t-elle. Si on arrive avec un 10 %, ça ne fonctionne pas, les clients sont habitués à ça. »

Pour sortir du lot et présenter des offres alléchantes, les commerçants se préparent à cette période avant même que les enfants se déguisent pour l’Halloween. La séquence de courriels, les annonces sur les réseaux sociaux, l’identification des produits qui seront en promotion : rien n’est laissé au hasard.

« C’est un travail de plusieurs semaines. On regarde le marché, nos concurrents », dit Vicky Scalia.

Pour Marie Beaupré, la préparation est en quelque sorte le nerf de la guerre, car les entreprises d’ici se mesurent à de grosses pointures. « C’est beaucoup plus difficile de se faire voir dans toute cette marée de pubs des grosses multinationales qui ont un budget illimité pour ça. Donc, il faut commencer à en parler plus tôt. Il fait avoir des offres différentes, originales. »

« Quand on est une petite business, on part avec des désavantages par rapport aux grosses multinationales. Le coût des publicités sur Facebook, sur Google augmente pendant cette période. »

Bouder le Vendredi fou

Malgré la pression, des détaillants décident tout de même de résister au mouvement du Vendredi fou. Anne Lespérance, propriétaire de la boutique de vêtements Belle et Rebelle, est de ce nombre.

« Ça fait quatre ou cinq ans qu’on n’y participe plus, dit-elle. On a fait une petite introspection et on a réalisé que ça n’allait pas du tout avec nos valeurs, cette surconsommation-là. C’est un évènement qui vient de la culture américaine. »

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Anne Lespérance, propriétaire de la boutique Belle&Rebelle sur la Plaza St-Hubert

C’est quelque chose qui ne fait pas partie de notre ADN à la base.

Anne Lespérance, propriétaire de la boutique de vêtements Belle et Rebelle

Mme Lespérance, qui vend essentiellement des créations locales, a plutôt décidé d’adhérer au Green Friday. Ce mouvement vise notamment à encourager la réflexion sur les manières de consommer en faisant la promotion d’autres options. Belle et Rebelle organisera donc ce vendredi une soirée d’échange de vêtements usagés.

Bien qu’elle comprenne que des entreprises décident de participer au Vendredi fou, la propriétaire estime que les détaillants d’ici ne se battent pas à armes égales contre les gros.

Pour les plus petits, il peut être plus difficile de rentabiliser ces soldes. « Avec le transport qui coûte 12-13 $ le colis, quand tu fais une petite marge de profit et que tu vends à 50 %, sans compter toute la publicité qu’il faut faire, à un moment donné, c’est quatre trente sous pour une piastre. »