Le Syndicat des débardeurs du port de Montréal reproche à son employeur de crier « au loup » en évoquant les négociations syndicales pour se plaindre d’une fuite du cargo. L’un des géants canadiens de la logistique, Delmar International, n’est toutefois pas du même avis et réachemine des cargaisons vers Halifax en évoquant l’incertitude montréalaise.

Dans un message transmis à ses quelque 1100 membres, mardi, le président syndical Martin Lapierre réplique aux reproches formulés par l’Association des employeurs maritimes (AEM) dans sa requête déposée vendredi dernier auprès du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) pour demander à ce tribunal fédéral d’ordonner un blitz de négociations entre les deux parties.

En soulignant que le conseil d’administration de l’AEM, qui compte 13 membres, est composé de représentants de sociétés maritimes et d’exploitants de terminaux, M. Lapierre affirme que ce sont ces mêmes entreprises qui « prennent la décision de transférer des conteneurs dans d’autres ports ».

« Ils ne peuvent pas crier au loup pour une situation qu’ils créent eux-mêmes », écrit-il.

Auprès du CCRI, l’AEM reprochait à la partie syndicale, affiliée au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), de faire preuve de « mauvaise foi » en refusant de se rendre disponible pour négocier. En faisant traîner les choses, on alimente l’instabilité, ce qui fait « fuir du cargo du port de Montréal », plaidait l’AEM.

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Pour M. Lapierre, les craintes de l’employeur ne sont pas justifiées.

« Le syndicat a confirmé tant à l’employeur qu’aux médiateurs qu’aucun moyen de pression ne sera exercé par le syndicat et ses membres tant que les parties ne se seront pas assises pour la reprise des négociations, écrit-il. D’ailleurs, aucun vote de grève n’a été tenu par le syndicat et ses membres à ce jour. »

S’il n’y a pas eu une relance des pourparlers entre les deux parties devant les médiateurs, c’est parce que les représentants syndicaux ne sont pas disponibles d’ici le 8 avril, souligne M. Lapierre. L’AEM aimerait recommencer à négocier plus rapidement. Il reste à voir si le CCRI tranchera sur la demande de l’Association rapidement.

Plan B

Certaines entreprises qui brassent des affaires au port de Montréal ont néanmoins décidé de prendre les devants. Depuis la semaine dernière, Delmar International regarde déjà ailleurs étant donné que le travail portuaire ne peut être considéré comme un service essentiel en cas de débrayage des débardeurs.

L’entreprise montréalaise, qui ne siège pas au C.A. de l’AEM, a opté pour Halifax.

« Alors que les incertitudes persistent au port de Montréal, Delmar International réacheminera toutes les cargaisons de la côte Est à destination de Montréal via Halifax afin de limiter l’impact négatif d’un éventuel arrêt de travail jusqu’à nouvel ordre », a indiqué la société, dans une note destinée à ses clients.

Delmar, qui compte plus de 1500 employés et des bureaux dans 17 pays, se spécialise dans le courtage en douane, le fret aérien, le transport maritime, l’entreposage et la distribution, notamment.

Tension dans l’air

La convention collective des débardeurs du port de Montréal est venue à échéance le 31 décembre dernier. Le dernier débrayage dans les installations montréalaises avait pris fin, au printemps 2021, avec l’adoption d’une loi spéciale par Ottawa. De passage devant la Chambre de commerce de l’Est de Montréal, lundi, le ministre fédéral des Transports, Pablo Rodriguez, avait souligné à quel point il semblait exister un « climat de méfiance » entre les débardeurs et l’AEM.

Qu’est-ce que l’Association des employeurs maritimes ?

Organisation sans but lucratif qui rassemble les entreprises actives dans le transport maritime, l’Association est l’employeur des débardeurs, qui chargent et déchargent les navires qui accostent au port de Montréal. Elle négocie et administre les contrats de travail de ses membres à Montréal, Contrecœur, Trois-Rivières, Bécancour, Toronto et Hamilton.

Les négociations syndicales avaient débuté en septembre dernier sur fond de ralentissement au port de Montréal. En 2023, les volumes de conteneurs se sont contractés de 8,6 %. Cette tendance s’est poursuivie pendant les deux premiers mois de l’année, où le recul est de 6,3 %.

Selon l’AEM, une partie de cette situation est attribuable à l’incertitude entourant le renouvellement de la convention collective des débardeurs. Le ralentissement économique pèse aussi dans la balance.

L’employeur des débardeurs avait été débouté, le 14 mars dernier, par le CCRI sur la question des services essentiels. Dans une décision sommaire, ce tribunal fédéral avait réitéré sa position selon laquelle l’AEM ne pouvait obliger ses employés à travailler pendant une grève. Il avait rejeté la demande de l’Association visant à considérer le travail portuaire comme un service essentiel dans le but d’éviter une grève.

Montréal n’est pas le seul endroit où l’on a constaté une diminution du trafic de conteneurs. Vancouver (-6 % en 2023) – où une grève de 13 jours a paralysé le plus important port au pays l’an dernier – et Halifax (-8,7 % après trois trimestres en 2023) n’y ont pas échappé. Contrairement à Montréal, ces deux endroits affichent une hausse globale des volumes en tenant compte des autres secteurs – comme le vrac liquide et le vrac solide.