De plus en plus de débardeurs du port de Montréal bénéficiant de la sécurité d’emploi sont payés même s’ils ne « travaillent pas » en raison de la chute du volume de conteneurs, se plaint leur employeur. L’Association des employeurs maritimes (AEM) impute cette situation à l’incertitude des négociations syndicales et demande à un tribunal fédéral d’ordonner un blitz de négociations.

L’Association adresse plusieurs reproches au Syndicat des débardeurs du port de Montréal, affilié au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), dans sa requête récemment déposée auprès du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI). L’employeur accuse la partie syndicale – qui représente quelque 1100 débardeurs – de faire preuve de « mauvaise foi » en refusant de se rendre disponible pour négocier.

Après une série de rencontres depuis septembre dernier, il n’y a pas eu de pourparlers depuis le 16 janvier, souligne l’AEM. L’employeur reproche au syndicat de faire traîner les choses, ce qui alimente l’instabilité et fait « fuir du cargo du port de Montréal ».

L’Association des employeurs maritimes, c’est quoi ?

C’est l’employeur des débardeurs, qui chargent et déchargent les navires. L’AEM négocie et administre les contrats de travail de ses membres à Montréal, Contrecœur, Trois-Rivières, Bécancour, Hamilton et Toronto.

« Déjà, des compagnies maritimes ont supprimé des départs de navires à destination de Montréal », écrivent les avocats de l’Association, sans aller jusqu’à nommer des noms d’entreprises. « L’impasse dans la négociation due aux agissements du syndicat est donc à l’origine de la situation qui s’amplifie de jour en jour. »

Invité par La Presse à répliquer au contenu de la requête de l’employeur, lundi, le syndicat a fait savoir, par courriel, qu’il « n’émettra aucun commentaire ». La convention collective est venue à échéance le 31 décembre dernier. L’AEM souhaitait que le CCRI convoque le syndicat et la partie patronale dans ses bureaux montréalais dès ce mardi pour une séance intensive de négociations de 48 heures. Au moment d’écrire ces lignes, le Conseil n’avait pas rendu sa décision.

Tendu

Le dernier débrayage au port de Montréal avait pris fin au printemps 2021 avec l’adoption d’une loi spéciale par Ottawa. Les relations de travail sont demeurées tendues, et le ministre fédéral des Transports, Pablo Rodriguez, en est conscient. De passage devant la Chambre de commerce de l’Est de Montréal, celui-ci a évoqué un « climat de méfiance » entre l’AEM et les débardeurs.

« Honnêtement, je n’ai pas vu cela ailleurs, a-t-il déclaré, lorsqu’interrogé sur le sujet. Il y a un problème de fond qu’il va falloir résoudre. Lors des années de paix entre guillemets qu’on va avoir, après les négociations, il va falloir retravailler beaucoup la relation. »

L’Administration portuaire de Montréal (APM) partage les préoccupations du ministre. Sa porte-parole, Renée Larouche, affirme que l’agence fédérale souhaite « ardemment un dialogue constructif qui mène à un accord durable et mutuellement bénéfique ».

Clause unique

Dans les ports canadiens, les débardeurs montréalais sont les seuls à bénéficier de la sécurité d’emploi, un mécanisme qui leur assure un salaire même s’ils ne travaillent pas quand le volume de cargaison est insuffisant. La facture commence à être salée, plaide l’AEM, puisque le volume de conteneurs n’est plus au rendez-vous.

« La situation qui prévaut présentement en est donc une où l’Association paie les débardeurs, qui ne travaillent pas en raison du fait que le syndicat, par ses agissements, fait fuir le cargo du port de Montréal, lit-on dans la requête. L’Association est donc confrontée à une situation intenable, où elle subit des dépenses considérables, sans possibilité de revenus pour les payer. »

En septembre dernier, La Presse rapportait que des gestionnaires dans l’industrie maritime pensaient déjà à des solutions de rechange pour faire transiter des marchandises ailleurs sur la côte, advenant une nouvelle grève aux installations portuaires montréalaises. Le port de Vancouver – le plus important au pays – avait été paralysé par un débrayage pendant 13 jours en juillet dernier.

Dans sa requête, l’AEM attribue essentiellement la baisse des volumes au port de Montréal à l’incertitude provoquée par le renouvellement de la convention collective des débardeurs. Le ralentissement économique pèse aussi dans la balance. En 2023, le port de Montréal a constaté un déclin de 8,9 % des volumes de conteneurs, un résultat que l’agence fédérale a expliqué par une diminution des importations. Cette tendance s’est poursuivie pendant les deux premiers mois de l’année, où le recul est de 6,3 %.

« L’absence actuelle de convention collective dans le port [de Montréal] est préoccupante », affirme Brian Slack, professeur émérite à l’Université Concordia et spécialiste du transport maritime. « Les compagnies maritimes ont besoin de stabilité et ne veulent pas être confrontées à des perturbations coûteuses. »

Le port de Montréal n’est pas le seul confronté à des reculs dans le créneau des conteneurs. Vancouver (- 6 % en 2023) et Halifax (- 8,7 % après trois trimestres en 2023) n’y ont pas échappé. Contrairement à Montréal, ces deux endroits affichent une hausse des volumes en tenant compte de tous les autres secteurs – vrac liquide et vrac solide.

Ottawa offre 17 millions pour la capacité ferroviaire

Ottawa allonge 17 millions pour augmenter la capacité ferroviaire au port de Montréal, en ajoutant une quatrième voie sur le pont ferroviaire Pie-IX. L’investissement devrait permettre de diminuer le nombre de véhicules lourds qui circulent sur le site. « On vient augmenter la fluidité du transport de marchandises tout en luttant contre la crise climatique », a fait valoir lundi le ministre des Transports, Pablo Rodriguez, en annonçant la nouvelle devant un parterre de gens d’affaires, à l’invitation de la Chambre de commerce de l’Est de Montréal (CCEM). Tout cela permettra d’appuyer Sucre Lantic dans son expansion et « d’amener plus facilement leur sucre en Ontario », a expliqué le ministre.

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    Nombre de vérificateurs du port de Montréal qui se sont entendus avec l’AEM en février dernier pour renouveler leur convention collective.
    association des employeurs maritimes