(Ottawa) Le gouvernement fédéral utilise de plus en plus l’intelligence artificielle pour détecter des comportements frauduleux et débusquer les entrepreneurs qui gonflent leurs factures, a révélé jeudi le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Jean-Yves Duclos.

L’intelligence artificielle permet d’analyser rapidement une foule de données provenant de plusieurs ministères et de relever des comportements qui pourraient contrevenir aux bonnes pratiques comptables, a expliqué le ministre en entrevue avec La Presse.

C’est d’ailleurs grâce à l’utilisation de ces nouvelles capacités d’analyse « depuis quelques mois à peine » que le gouvernement fédéral a pu relever que trois sous-traitants en technologie de l’information avaient facturé frauduleusement 5 millions de dollars à près de 40 ministères et sociétés d’État entre 2018 et 2022, comme l’ont signalé M. Duclos et sa collègue du Conseil du Trésor, Anita Anand, mercredi.

En entrevue, M. Duclos a réaffirmé qu’Ottawa s’attend à trouver au cours des prochaines semaines d’autres cas de fraude de ce genre qui pourraient mener à de nouvelles enquêtes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

« Les données et les capacités de traiter ces données sur les contrats au gouvernement canadien s’améliorent tous les jours. C’est évidemment dû à l’évolution des techniques d’analyse qui ressemblent à l’intelligence artificielle et qui fait en sorte que le gouvernement canadien est beaucoup plus capable maintenant en 2024 qu’il ne l’était il y a quelques années à peine de détecter des activités frauduleuses », a expliqué le ministre.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

C’est un message qui est envoyé aux contractants et aux sous-traitants qui sont en très petite minorité, mais qui pourraient songer à tenter de frauder le gouvernement canadien.

Jean-Yves Duclos, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement

« On a des méthodes de détection de ces activités qui sont de loin supérieures à celles qu’on avait au cours des dernières années. C’est un message clair que l’on veut envoyer », a-t-il ajouté.

Le recours à l’intelligence artificielle permet de croiser les données non seulement entre les ministères du gouvernement fédéral, mais aussi entre les divers ordres de gouvernement.

Les trois cas de fraude qui ont été signalés par les deux ministres mercredi ont déjà été transférés à la GRC. Le gouvernement fédéral a entrepris des démarches pour tenter de récupérer l’argent payé en trop.

Ces cas n’ont rien à voir avec les dépassements de coûts liés à la conception de l’application ArriveCAN qui ont fait l’objet d’un rapport accablant de la vérificatrice générale Karen Hogan le mois dernier.

Depuis quelques semaines, le gouvernement Trudeau fait l’objet de vives critiques à la suite de la publication du rapport de Mme Hogan sur le fiasco financier entourant l’application ArriveCAN.

Dans son rapport, Mme Hogan a fait état de nombreuses irrégularités dans les contrats accordés par l’Agence des services frontaliers pour le développement de l’application ArriveCAN, utilisée à la frontière pour appliquer les mesures sanitaires pendant la pandémie. La version initiale de l’application a coûté 80 000 $, mais son coût a grimpé en flèche pour atteindre 59,5 millions. La firme GC Strategies, qui ne compte que deux associés, avait obtenu la plus grande part de cette somme, soit 19,1 millions.

Depuis, le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement a suspendu la cote de sécurité de GC Strategies jusqu’à nouvel ordre. La firme se retrouve ainsi complètement exclue du processus d’approvisionnement. Une autre firme de deux employés, Dalian Enterprises inc., a également perdu sa cote de sécurité. Cette suspension touche aussi la coentreprise que Dalian avait formée avec Coradix Technology Consulting pour obtenir des contrats réservés aux Autochtones par le gouvernement.

S’il affirme que l’argent des contribuables doit être géré d’une manière prudente en tout temps, Jean-Yves Duclos a tenu à souligner que son ministère accorde environ 34 milliards de dollars en approvisionnement et quelque 400 000 contrats ou contrats amendés par année.

« Les gouvernements doivent toujours essayer de faire mieux. Il faut dire que les audits qui sont menés tous les jours par un grand nombre de fonctionnaires donnent généralement des résultats qui sont rassurants. Mais quand on trouve des lacunes dans le système comme cela a été le cas de la vérificatrice générale au cours des dernières semaines, il faut agir », a dit le ministre.

M. Duclos a d’ailleurs rappelé que le gouvernement fédéral avait réussi, durant la pandémie de COVID-19, à procéder d’une manière urgente à l’achat de vaccins, de tests rapides et d’équipements médicaux, entre autres, tout en respectant les règles de saine gestion, comme l’a relevé la vérificatrice générale à la suite d’une enquête.

« Dans le cas d’ArriveCAN, la vérificatrice générale a relevé qu’un petit nombre de fonctionnaires n’ont pas suivi les règles qui avaient été communiquées durant la pandémie. Les règles durant la pandémie, c’était d’agir rapidement et efficacement pour protéger les Canadiens, mais aussi de s’assurer que toutes les informations appropriées et nécessaires seraient sauvegardées, partagées et utilisables plus tard. Il y a quelques fonctionnaires qui n’ont pas fait ce travail et ils sont suspendus. »