Tous les yeux sont tournés vers la crevette nordique : les négociations entre l’industrie et les pêcheurs québécois commencent la semaine prochaine pour établir la valeur du crustacé cette année. Dans les poissonneries, on craint une hausse du prix.

Amateurs de guédilles à la crevette, il est possible que vous deviez payer plus pour votre sandwich l’été prochain. Avec les petits quotas imposés aux pêcheurs d’ici, le prix de la crevette nordique locale pourrait augmenter.

Certains poissonniers s’y attendent, s’y résignent même, en espérant que s’il y a une hausse, elle ne soit pas vertigineuse. Car la crevette nordique locale reste le fruit de mer québécois le plus abordable, loin des prix du crabe ou du homard.

Jean-Paul Gagné, directeur général de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche, rappelle que, ultimement, c’est le consommateur qui aura le dernier mot. Toutefois, selon lui, dans les circonstances, les crevettes nordiques québécoises vont effectivement se vendre plus cher cette année. Mais la hausse ne doit pas être trop importante, dit-il, car les consommateurs iront vers d’autres crevettes, l’argentine notamment, qui est moins chère. Et moins bonne, précise Jean-Paul Gagné, qui est à la tête de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche depuis 30 ans. Et qui n’a jamais vu de si petits quotas pour la crevette – la quantité permise par Ottawa pour la pêche, en fonction de la vitalité des stocks.

À la base, le prix de la crevette est négocié entre les transformateurs et les pêcheurs au début de chacune des saisons – un exercice très délicat. Il le sera particulièrement cette année, avec les restrictions de pêche imposées.

Lundi, l’usine de transformation Les Fruits de mer de l’Est, de Matane, a annoncé sa fermeture, mettant la lumière sur certains défis du monde de la pêche et rappelant que les quotas pour la crevette sont un véritable casse-tête pour tous les maillons de l’industrie.

Les pêcheurs ont déjà annoncé qu’ils ne vont pas tous sortir en mer si les prix qu’on leur donne pour la crevette ne sont pas plus élevés que ceux des dernières années, parce qu’ils vont être déficitaires. On risque de voir des regroupements de quotas, donc plusieurs capitaines qui travaillent ensemble – et moins de monde sur les bateaux.

Autre incertitude : la date du début de la pêche. Elle peut commencer dès le 1er avril, mais les pêcheurs doivent attendre que les transformateurs soient prêts à accueillir leurs récoltes. Certains pêcheurs vendent directement à des poissonneries : ceux-là sortiront plus rapidement en mer.

Il faut comprendre que les crevettes étant plus rares, le temps passé en mer est plus long pour des captures désormais plus petites.

Pas de pénurie

La crevette nordique se pêche principalement dans la région de Sept-Îles, suivi de celle de l’île d’Anticosti et de l’estuaire du Saint-Laurent. Les restrictions s’appliquent partout.

Afin que toute cette situation n’influe pas trop sur les prix au détail, on devrait voir une baisse des exportations de crevettes – voire une absence totale.

On n’a plus le choix de la garder. Et j’espère qu’on va la garder au complet. Le marché québécois peut absorber le volume de crevettes que nous avons, actuellement.

Jean-Paul Gagné, directeur général de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche

La situation actuelle devrait provoquer le mouvement contraire cette année : des usines québécoises pourraient acheter de la crevette nordique du Groenland, de la Norvège ou de l’Alaska. Dans ce cas, la crevette est directement congelée en mer, puis décongelée dans les usines québécoises et transformées.

« Ça pourrait sauver la saison pour les travailleurs d’usine », précise Jean-Paul Gagné, qui craint une dévitalisation de certains secteurs de la Gaspésie avec la précarité de certaines pêches, dont celle de la crevette.

Dans les poissonneries

La fermeture de l’usine de Matane plus tôt cette semaine aura eu au moins cela de bon : on parle beaucoup de la pêche et les consommateurs sont plus sensibles aux enjeux locaux, souligne Jean-Paul Gagné.

Cela se traduira-t-il devant les comptoirs des poissonneries s’il y a bel et bien une hausse du prix de la crevette ?

Chez Palomar, au marché Jean-Talon, Constant Mentzas va continuer d’acheter de la crevette d’ici cette année – à moins que la hausse soit trop élevée pour sa clientèle.

Le crustacé étant déjà pas mal abordable, une petite hausse devrait être facilement absorbée. Et il faut que ça reste comme ça, dit-il.

« J’aime beaucoup la crevette, lance Constant Mentzas. Une hausse de 10 %, ça peut aller. Trois fois le prix, ça n’aurait plus de bon sens. »

Dans tous les cas, le commerçant rappelle la loi de l’offre et la demande : s’il y a moins de crevettes et qu’elles coûtent plus cher, la demande va inévitablement baisser.

À Rimouski, Karel Coulombe travaille beaucoup avec la crevette québécoise dans ses plats transformés. Si son prix monte trop, elle pourrait utiliser la crevette nordique pêchée ailleurs.

Sa Poissonnerie du fleuve vient tout juste de rouvrir les portes pour la saison. « Le déclin [de la crevette] est normal », dit la commerçante, qui estime qu’au-delà du réchauffement du fleuve, il y a des cycles dans les milieux marins que nous devons respecter, en tant que consommateurs.

En savoir plus
  • 3060
    Le quota de pêche de crevettes nordiques dans le Saint-Laurent pour la saison 2024 est de 3060 tonnes.
    source : Pêches et Océans Canada
    2
    Il reste deux usines qui transforment la petite crevette au Québec, celles de L’Anse-au-Griffon et de Rivière-au-Renard, toutes deux en Gaspésie.