Une conséquence du retard de l’arrivée de travailleurs temporaires mexicains

Le début de la saison du crabe est compromis par des retards dans l’arrivée de centaines de travailleurs temporaires du Mexique. Une conséquence prévisible de la récente décision d’Ottawa de leur réimposer d’obtenir un visa avant leur arrivée au pays, dénonce l’industrie, et qui met en péril des centaines d’emplois locaux.

« Le crabe, il va s’en aller où ? On ne peut pas transformer au compte-gouttes. Tu transformes ou tu ne transformes pas », résume le président de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche, Jean-Paul Gagné.

Comme bien d’autres, ce dernier appréhende le début de la pêche au crabe dimanche prochain dans la zone 17, celle qui ouvre le bal, au large de Rimouski et de la Haute-Côte-Nord.

Car, faute d’un nombre suffisant de travailleurs, bon nombre des 35 usines de transformation de la province où le crabe est lavé, cuit, sectionné et congelé pourraient simplement ne pas ouvrir leurs portes, dit-il. Un enjeu cité parmi les raisons de la fermeture de l’usine Les Fruits de mer de l’Est, annoncée lundi, qui a créé une onde de choc dans le milieu ⁠1.

Mardi, les deux tiers des quelque 600 travailleurs étrangers mexicains appelés à travailler dans ces usines n’avaient toujours pas pu mettre les pieds au Québec, indique Mélanie Sirois, présidente du Groupe Dotemtex, une entreprise spécialisée dans le recrutement international qui travaille avec la majorité des usines de transformation de la province.

Travailleurs essentiels

Depuis plusieurs années, l’industrie de la transformation des produits de la pêche emploie un chemin particulier dans le dédale réglementaire de l’immigration afin de faire venir ces travailleurs devenus essentiels.

Une situation due aux courts délais entre la délivrance des quotas de pêche à la fin de l’été, qui détermine les ressources nécessaires dans les usines de transformation, et l’arrivée de ces travailleurs pour le début de la saison suivante, à la fin de mars.

Plutôt que de faire leurs demandes de permis de travail en ligne, un processus d’environ 30 jours selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, les Mexicains appelés y à travailler se présentaient donc plutôt directement à la frontière pour l’obtenir directement.

Un raccourci bloqué par la récente modification réglementaire d’Ottawa qui a imposé de nouveau, le 29 février, l’obligation pour les ressortissants mexicains d’obtenir un visa avant leur arrivée au pays.

Et ce, malgré les protestations d’intervenants qui appelaient le gouvernement Trudeau à repousser l’entrée en vigueur de cette mesure après la saison de la pêche, a dénoncé mardi le député de Matane-Matapédia, Pascal Bérubé. Un aménagement « qui ne coûtait rien », a-t-il rappelé.

« Résultat des courses, c’est ce qui a augmenté les risques [l’usine de transformation Les Fruits de mer de l’Est à] Matane est tombée, mais surveillez les autres usines de pêche dans l’est du Québec, moi, je crains beaucoup. »

« Le chaos »

« Le chaos », lance Christine Poitras, responsable des achats et du transport pour Crabiers du Nord et Groupe Umek, deux usines de transformation de la Côte-Nord, lorsqu’on lui demande de résumer ses préparatifs en vue du début de la saison.

Comme plusieurs de ses collègues, elle a dû faire des pieds et des mains pour combler l’absence d’une vingtaine de travailleurs mexicains qui n’allaient pas pouvoir arriver à temps pour le début de la pêche au crabe. Grâce à des recherches sur des groupes Facebook, huit remplaçants locaux ont pu être trouvés pour occuper des postes de journaliers dans une des deux usines. L’autre lui enverra son surplus.

« Normalement, le gouvernement, quand ils annoncent une nouvelle loi, il y a un délai de grâce. Mais là, ça n’a pas été ça », s’étonne Christine Poitras. « Ce n’est pas facile dans de petites régions comme ici. On est en manque de personnel, les gens sont vieillissants, on a été chanceux. »

Pour d’autres usines, « on va avoir des fermetures », craint pour sa part Mélanie Sirois en ajoutant que cela pourrait engendrer la perte de « centaines » d’emplois locaux.

Compte tenu de la nature de la ressource —— le crabe des neiges ne peut être pêché que durant une courte période de l’année –, la situation met également de la pression sur les pêcheurs.

« Si les transformateurs ne sont pas là pour accueillir le crabe […] ça vient affecter l’ensemble de nos activités et le côté financier de nos entreprises », explique le président de l’Association des pêcheurs de crabe de la zone 17, Marc Doucet. « On fait des prêts avec les banques pour acheter nos quotas et le seul revenu qu’on a, c’est la pêche. »

Une « voie de passage » recherchée

« Dans le secteur agricole, on sait que c’est très important, on le voit dans la transformation dans les usines côtières également. Si on a à intervenir là-dedans, il faut le faire avec discernement », a réagi le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, mardi.

Mais Ottawa ne semble toujours pas vouloir bouger pour le moment, même si le cabinet de la ministre fédérale des Pêches, Diane Lebouthillier, affirme qu’elle œuvre « afin de trouver une voie de passage pour ces travailleurs dans les meilleurs délais ».

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a précisé mardi que les Mexicains appelés à travailler dans les usines de transformation des produits de la mer faisaient l’objet d’un « traitement prioritaire ». Mais aucun programme d’immigration « ne bénéficie d’une dispense de l’obligation de visa pour les ressortissants mexicains », a réitéré le Ministère.

1. Lisez l’article « La fin pour la crevette de Matane ? »