Propriétaire d’un Mazda CX-5 payé depuis trois ans et qui se fait « un peu vieux », Patrick Chevalier songeait à prendre le virage électrique. Le tour de vis qui attend les subventions du programme Roulez vert dès l’an prochain risque de précipiter sa décision.

« Quand on a vu les nouvelles [mardi], on a commencé à se dire qu’on allait peut-être accélérer les choses parce qu’on parle de plusieurs milliers de dollars, a-t-il raconté mercredi, en entrevue téléphonique. Ça serait [illogique] de ne pas en profiter. »

Le sixième budget du ministre des Finances Eric Girard en a surpris plus d’un en signalant que les jours des subventions offertes aux acheteurs de voitures électriques étaient comptés – une décision qualifiée de « regrettable » et d'« incompréhensible » par le secteur de la vente automobile.

Cette année, les acheteurs de voitures entièrement électriques auront encore droit à une subvention maximale de 7000 $, ou 5000 $ pour un véhicule hybride. Dès l’an prochain, l’aide se dégonflera progressivement avant de disparaître pour de bon en 2027 – à l’exception des subventions aux bornes de recharge. Le gouvernement fédéral continuera d’offrir des subventions maximales de 5000 $ jusqu’au 31 mars 2025 ou jusqu’à épuisement des fonds.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« Ça va créer un certain engouement »

Selon la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec, bon nombre de consommateurs risquent d’adopter la stratégie de M. Chevalier.

« La décision gouvernementale va créer un certain engouement, affirme son président-directeur général, Ian Sam Yue Chi. On risque d’avoir des ménages qui se questionnent, mais qui vont précipiter leur décision. »

Encore faut-il en avoir les moyens. C’est le cas de la famille de M. Chevalier, composée de deux adultes et de deux enfants. Puisque le véhicule familial est payé, il y a un « coussin » pour accélérer l’achat d’un modèle électrique.

N’empêche, il aurait préféré avoir plus de temps devant lui.

« On attendait parce qu’il y avait le [Mazda] CX-90 hybride l’an dernier, explique M. Chevalier. On se disait que l’on pourrait peut-être attendre que la première mouture électrique ait fait ses preuves avant de l’acheter. »

Selon l’indice d’AutoHebdo – qui tient compte des modèles à combustion, hybrides et électriques –, le prix moyen d’un véhicule neuf était de 67 259 $ à la fin de 2023.

Coûteux

Populaire, Roulez vert coûtait de plus en plus cher aux contribuables. En 2022-2023, 238 millions avaient été distribués aux acheteurs. L’an dernier, la facture du programme atteignait environ 400 millions. Le gouvernement Legault a justifié sa décision en affirmant que le marché du véhicule électrique pouvait maintenant voler de ses propres ailes. Au troisième trimestre de 2023, plus d’un véhicule neuf sur cinq au Québec était alimenté à l’électricité.

Au Groupe Park Avenue, qui réunit 17 concessionnaires automobiles représentant une vingtaine de marques, le président et chef de la direction, Norman John Hébert, n’est pas convaincu que le compte à rebours stimulera les ventes.

« Je préfère ne pas spéculer, mais je peux vous dire que je vois déjà que le consommateur n’est pas au rendez-vous, dit l’homme d’affaires. Aujourd’hui, 20 % de nos stocks sont électriques. L’an passé, ce créneau représentait 12 % de nos ventes. La façon de convaincre les consommateurs d’opter pour les modèles électriques, c’est d’en rendre l’achat plus abordable. On ne peut pas toujours mettre le fardeau sur les constructeurs. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Norman John Hébert, président et chef de la direction de Groupe Park Avenue

M. Hébert n’est pas sur la même longueur d’onde que le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette. Mercredi, ce dernier a affirmé que les prix des véhicules électriques risquaient de fléchir dans la foulée de la fin des subventions. En mêlée de presse avant le conseil des ministres, M. Charette a souligné que certains constructeurs avaient procédé à des baisses de prix « assez importantes » ces derniers mois.

« C’est complètement déconnecté de la réalité des constructeurs automobiles, rétorque M. Hébert. Ce qui risque d’arriver, c’est qu’ils ne seront pas capables de respecter les cibles fixées par les gouvernements en matière de véhicules zéro émission et devront payer des amendes. »

Signe qu’il n’y a pas de consensus sur cette question, George Iny, président de l’Association pour la protection des automobilistes, est plutôt de l’avis du ministre. Il voit d’un bon œil la fin de Roulez vert, qu’il qualifie de « cadeau pour les concessionnaires ». Surtout, déplore-t-il, cela « facilite la vente de véhicules plus chers ».

« Est-ce que c’est logique de favoriser une consommation plus forte de produits plus gros ? », demande M. Iny.

Selon l’expert du secteur automobile, il est « évident » qu’en l’absence de la subvention de 7000 $, bien des consommateurs perdraient de l’intérêt envers un modèle coûteux et assez gros comme le Hyundai Ioniq 5 pour se tourner vers le Hyundai Kona, « qui est quand même excellent, mais qui suscite moins d’intérêt à cause de la subvention ».

Avec la collaboration de Gabriel Béland et de Marie-Eve Fournier, La Presse

Pas de cadeau pour les listes d’attente

Ils sont moins nombreux qu’auparavant, mais les automobilistes actuellement sur une liste d’attente pour l’achat d’un modèle électrique pâtiront du tour de vis qui attend Roulez vert s’ils tardent à recevoir leur véhicule. C’est la date d’immatriculation qui détermine la taille de la subvention. Si vous décidez de prendre le virage électrique cette année, mais que votre nouvelle monture tarde à être livrée et qu’il faut attendre à 2025 avant de l’immatriculer, l’aide gouvernementale sera moins généreuse.

En savoir plus
  • 2012
    Instauration du programme Roulez vert
    Source : gouvernement du Québec
    240 000
    Nombre de véhicules électriques sur les routes au Québec. L’objectif est de 2 millions en 2030.
    Source : gouvernement du Québec