Dans sa stratégie d’habitation, dévoilée lundi matin, la Ville de Longueuil rejette la solution montréalaise de contraindre les promoteurs privés à contribuer financièrement à la construction de logements sociaux, abordables et familiaux, dont les résultats obtenus jusqu’à présent ont été mitigés.

La mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, propose plutôt de faire grandir le parc immobilier sous le contrôle d’organismes à but non lucratif.

À terme, la Ville vise l’atteinte d’un seuil de 20 % de logements locatifs à but non lucratif sur son territoire. Cet objectif vise à offrir un logement abordable au premier quintile de la population, soit la part de ménages locataires qui ne peuvent trouver un logement acceptable sur le marché privé présentement.

Actuellement, il y a 4666 logements hors marché à Longueuil, soit 4,2 % du parc immobilier. Pour atteindre la cible ambitieuse de 20 %, il faudrait ajouter quelque 17 500 logements.

« Par définition, le logement qui est à but non lucratif est un logement abordable, car il ne répond pas aux impératifs de profit », explique Mme Fournier.

Ce n’est pas la première fois que la mairesse de Longueuil se démarque par ses prises de position en matière d’habitation. En juin dernier, elle avait refusé de se joindre à 12 maires des grandes villes du Québec qui revendiquaient dans une lettre ouverte l’instauration d’un registre universel des loyers1.

Cette fois-ci encore, Longueuil fait bande à part. En faisant le choix d’intervenir sur les logements à but non lucratif, la Ville évite de dépendre entièrement des fonds destinés aux logements sociaux en provenance de Québec et d’Ottawa pour agir, précise-t-elle. Un autre avantage, avance-t-elle, est une simplification de l’intervention du pouvoir municipal comparativement à la complexité associée à la mise en œuvre du Règlement pour une métropole mixte de l’administration de Valérie Plante.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Catherine Fournier, mairesse de Longueuil

Avec le règlement 20-20-20 de Montréal ou bien les redevances de développement qu’ont adoptées plusieurs villes, on voit bien le revers de ces outils. Dans un contexte où la construction est déjà au ralenti, ces pénalités entraînent une hausse de prix des logements neufs qui doit être absorbée par les locataires ou les propriétaires.

Catherine Fournier, mairesse de Longueuil

Une redevance de développement est une taxe2 imposée par certaines villes aux nouvelles constructions, par exemple 3527 $ par logement dans le cas de Brossard, dans le but de financer les infrastructures municipales à venir, comme un agrandissement de l’usine de production d’eau potable.

« Le contexte est différent aujourd’hui que lorsque Montréal a adopté son règlement 20-20-20, où la construction allait très bien, dit-elle pour expliquer son refus d’emboîter le pas à l’initiative montréalaise. Je peux comprendre l’idée à la base du règlement à l’époque.

« En revanche, dans un contexte où la construction résidentielle est au ralenti et où les projets peinent à débuter parce que les montages financiers ne sont pas viables, soutient-elle, la pire chose à faire dans le moment serait d’ajouter des frais sur la facture qui est imposée aux promoteurs parce que ça risque de faire mourir dans l’œuf certains projets ou de rendre encore plus inabordables les logements qui vont sortir de terre. »

Outre la construction de logements sociaux avec les fonds des gouvernements supérieurs, la stratégie longueuilloise consiste à acquérir des immeubles privés abordables pour les revendre ensuite à des organismes à but non lucratif afin de s’assurer de la pérennité du parc de logements abordables hors marché.

Pour ce faire, la Ville va utiliser son droit de préemption, soit le droit d’acquérir un immeuble aux conditions d’une offre d’achat acceptée déposée par un tiers.

La Ville songe aussi à se doter d’un fonds de soutien à l’acquisition pour aider les OBNL à compléter leur montage financier. Le financement proviendra, si le gouvernement provincial accepte de faire les changements législatifs en élargissant la notion de zonage incitatif, des contributions financières des promoteurs privés en échange d’une densité supplémentaire.

« Les promoteurs pourraient gagner en se voyant incités à construire davantage sur le territoire. En même temps, la Ville pourrait garnir un fonds qui aiderait à l’acquisition de logements par l’entremise des OBNL », résume la mairesse.

Réactions favorables

« C’est une excellente chose que l’on parle de logements sans but lucratif plutôt que de parler de logement abordable, une désignation qui ne veut plus rien dire », dit Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec. Il déplore toutefois l’absence de mesures pour stopper la spéculation, comme un registre des loyers.

De leur côté, les promoteurs immobiliers réunis au sein de l’Institut de développement urbain du Québec (IDU) offrent leur collaboration. « La Ville de Longueuil propose de miser sur la réduction des délais de traitement des demandes et autorisations, sur l’allègement réglementaire, sur le rehaussement de la densité dans des secteurs stratégiques et sur des incitatifs financiers. L’IDU accueille favorablement le plan de la Ville », dit Isabelle Melançon, sa PDG.

1. Lisez « Registre des loyers : la mairesse de Longueuil n’a pas signé la lettre ouverte » 2. Lisez « Les redevances de développement ne respecteraient pas la loi »

Registre des loyers : Fournier persiste et signe

Lundi, La Presse publiait une lettre ouverte signée notamment par les professeurs Gérard Beaudet et François Delorme et l’avocat Marc-André LeChasseur demandant l’instauration d’un registre des loyers, présenté comme « l’outil idéal » pour répondre au problème du non-respect des dispositions encadrant les loyers au Québec. « J’ai toujours la même position, avance Catherine Fournier. J’ai consulté les études mises de l’avant. Il n’y avait rien de tangible qui venait appuyer cette idée dans un contexte où il y a un débalancement de l’offre et de la demande. Ce décalage crée la plus grande pression sur la capacité de négocier d’un locataire. Tant que l’on ne corrige pas ce débalancement, le registre n’aura pas d’effet structurant sur le pouvoir de négociation d’un locataire. L’Union des municipalités du Québec a d’ailleurs choisi de ne pas se positionner sur le registre des loyers, après avoir fait la recension des études sur le sujet. »