À deux jours du 1er juillet, une douzaine de maires de grandes villes du Québec reprennent à leur compte la demande des groupes de locataires concernant la création d’un registre universel des loyers au Québec. Une dissidence de taille s’exprime toutefois dans le camp municipal : la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, n’a pas signé la lettre.

« Mme Fournier n’a pas signé la lettre ouverte puisqu’elle n’a pas été en mesure d’obtenir des données probantes sur l’efficacité de la mesure proposée. Dans ce contexte, elle a préféré s’abstenir », écrit dans un texto son attachée de presse, Camille Desrosiers-Laferrière.

L’absence de Mme Fournier parmi les signataires n’est pas anodine. Depuis son élection à la mairie de Longueuil, l’ancienne députée péquiste est en première ligne pour trouver des solutions à la crise du logement. Elle a notamment été la cohôtesse d’un sommet de l’habitation aux côtés du maire de Laval, Stéphane Boyer, en août 2022. Le sommet avait précédemment fait l’objet d’une promesse électorale commune, chose inusitée.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Fournier, mairesse de Longueuil

La lettre ouverte des maires présente en effet le registre des loyers comme une mesure efficace pour contrer les hausses de loyer, mais n’avance aucune donnée empirique en ce sens. Le but de la mesure est de permettre aux futurs locataires de connaître le loyer précédent qui était payé pour le logement convoité.

Les maires y soutiennent que la création d’un tel registre va « faciliter la négociation des prix à la baisse dans le marché locatif » et « contribuerait à freiner l’inflation immobilière issue de l’optimisation des loyers ».

L’organisme Vivre en ville est derrière la campagne de soutien en faveur d’un registre des loyers. Avec une subvention du fédéral et l’argent de Centraide du Grand Montréal, Vivre en ville a financé la création et l’exploitation pendant trois ans d’un registre volontaire des loyers. C’est cet outil que l’organisme met à la disposition du gouvernement du Québec.

Maintenir les loyers le plus bas possible est la meilleure façon d’encourager la construction, d’après Adam Mongrain, directeur responsable de l’habitation à Vivre en ville, une affirmation qui va à l’encontre de la théorie économique. « Ce que les données montrent, c’est que les endroits où il y a le moins de provisions pour contrôler les loyers sont les endroits où il s’en construit le moins », dit-il en citant les villes de Vancouver et de Toronto. « On voit plus d’investissement privé en habitation quand les coûts sont bas », ajoute-t-il.

Une grave erreur, selon les propriétaires

« C’est décourageant », confie Martin Messier, président de l’Association des propriétaires du Québec, au sujet de l’initiative du monde municipal. Selon lui, la situation actuelle devrait inciter les parties concernées à stimuler l’investissement en habitation. Or, instaurer un registre des loyers dans le but de limiter les hausses de loyer aura un effet contraire, d’après lui. « C’est une mauvaise idée de maintenir artificiellement les loyers très bas, ça entraînerait une dégradation du parc immobilier et le découragement des investisseurs », avance-t-il.

Si l’implantation du registre a pour effet de maintenir les loyers bas, les résidences privées pour aînés (RPA) vont continuer de disparaître, commente pour sa part Hans Brouillette, directeur des affaires gouvernementales au Regroupement québécois des résidences pour aînés. « Depuis cinq ans, 500 RPA ont fermé leurs portes et il s’en ferme trois par semaine en moyenne depuis le début de 2023 », précise-t-il.

Beaucoup de bruit pour rien

Pour Mario Polèse, professeur émérite au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), la présence d’un registre ne changera rien à la situation actuelle, n’en déplaise aux groupes de locataires et de propriétaires. Fondamentalement, le prix du logement est dicté par l’offre et la demande. Tant qu’il manquera de logements, une pression à la hausse s’exercera sur les loyers.

Le professeur Jean-Philippe Meloche, de l’Université de Montréal, renchérit. « J’ai des réserves quant à la capacité de cet outil à régler les problèmes actuels. Les taux d’inoccupation étant très bas, parce qu’il y a une demande forte et que l’offre n’est pas conséquente, les gens sont nerveux de ne pas trouver de logement. Rien n’empêche des adultes consentants de négocier à l’extérieur du prix qui était là avant. Le registre n’aura pas beaucoup d’impact », craint-il.

Construire n’est pas une solution, selon un groupe de gauche

Dans une note publiée jeudi matin, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) soutient que la solution à la crise du logement ne passe pas par la construction d’habitations par le secteur privé. Cette affirmation repose sur l’observation que le taux d’inoccupation des logements locatifs a continué de baisser depuis 2016, même si le nombre de mises en chantier a presque doublé entre 2016 et 2020. L’étude ne dit pas un mot sur l’évolution de la demande de logements au cours de la période. « L’augmentation du nombre de ménages ne nécessite pas nécessairement une augmentation du nombre des logements, puisque la colocation est en hausse selon Statistique Canada », répond, dans un courriel, Louis Gaudreau, chercheur associé à l’IRIS et professeur à l’École de travail social de l’UQAM. Pour l’IRIS, la solution passe par un contrôle plus sévère du parc locatif existant et par la construction de logements sociaux par le gouvernement.