Qu’on soit victime d’éviction, qu’on quitte le nid familial, qu’on s’exile en région, qu’on possède des animaux ou qu’on achète sa première maison, chaque déménagement pose son lot de défis. Petits, moyens, gros et parfois même énormes. La Presse s’est entretenue avec cinq personnes qui passent actuellement par cette importante étape.

Évictions à répétition

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Eve Langevin devra quitter malgré elle son appartement d’Hochelaga-Maisonneuve.

Éviction 

Nom : Eve Langevin

Âge : 29 ans

Ville : Montréal

Eve Langevin venait d’être évincée de son appartement lorsqu’elle a emménagé dans son grand sept et demie d’Hochelaga-Maisonneuve, il y a quatre ans. Cette année, ses trois colocataires et elle quitteront leur appartement de rêve, mais contre leur gré.

« À partir du moment où tu te fais retirer ton logis, ta fondation même est ébranlée, illustre Eve Langevin en entrevue. Tout le reste devient difficile à maintenir quand ce sur quoi tu bâtis ta vie se dérobe sous tes pieds. »

Le calvaire d’Eve Langevin a commencé au printemps 2021, quand la femme d’affaires Pauline Cauchefer a acheté l’immeuble où elle habitait. L’automne suivant, La Presse a dévoilé les pratiques « sauvages » de rénoviction massive de l’investisseuse, qui disait avoir acquis plus de 100 logements en trois ans.

À la suite de ces révélations, Pauline Cauchefer a vendu trois immeubles, y compris celui qu’occupait Eve Langevin. Le soulagement a toutefois été de courte durée. En décembre dernier, les nouveaux propriétaires ont annoncé aux locataires qu’ils comptaient récupérer le logement.

« Ils ont décidé de faire un agrandissement substantiel », explique Eve Langevin. Résultat : le quatuor est évincé.

Avec l’aide du comité Entraide Logement Hochelaga-Maisonneuve, Eve Langevin et ses colocataires ont signé une entente à l’amiable avec les propriétaires en mai.

Jamais deux sans trois ?

En décembre prochain, Eve Langevin et une de ses colocataires emménageront dans un nouvel appartement, où deux amis cèdent leur chambre.

Il ne s’agit toutefois pas d’une fin heureuse. D’une part, parce que le propriétaire aurait menacé les précédents locataires d’éviction lorsqu’ils ont voulu céder leur bail. D’autre part, parce que le logement serait insalubre, pour cause de moisissure.

« On se remet dans une situation précaire, mais au moins on a une place où aller, relate Eve Langevin. On a passé au crible les groupes sur l’internet et les annonces, mais c’est fou ce que les propriétaires demandent. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Eve Langevin devra quitter son appartement en décembre prochain.

Anxiété, insomnie, tension, difficultés de concentration ; les conséquences de cette éviction sur l’étudiante et ses colocataires ont été nombreuses. « Notre santé mentale a vraiment été affectée. »

Pour son nouvel appartement, Eve Langevin paiera presque le même loyer, mais pour un espace plus petit et mal entretenu. « C’est un gros deuil, c’est très difficile. »

Pour Eve Langevin, le manque de réglementation du marché locatif laisse les locataires impuissants face aux évictions. « On en vient à croire que c’est une blague. C’est très frustrant de n’avoir aucun recours ».

Jamais sans mes animaux

PHOTO FOURNIE PAR AUGUSTE TAVAREZ

Auguste Tavarez ne se verrait jamais vivre sans ses animaux de compagnie.

Avec animaux de compagnie

Nom : Auguste Tavarez

Âge : 21 ans

Ville : Québec

Auguste Tavarez serait incapable de vivre sans Alphonse, son chat, et Hunter, le chien dont elle s’occupe. En entrevue, la jeune femme promet de continuer de lutter pour garder ce tandem auprès d’elle, même s’il s’agit d’un combat de plus en plus ardu en raison du nombre croissant de propriétaires qui refusent les locataires qui possèdent des animaux de compagnie.

Avec son conjoint, la résidante de Québec est presque à court de solutions pour trouver un logement sous la barre des 1200 $ qui accepte les animaux de compagnie. Leur bail prenant fin samedi, le temps est compté. Et le stress augmente.

« J’ai vu beaucoup d’immeubles où on me dit qu’aucun animal n’est permis, peu importe la race, peu importe la grandeur, déplore la jeune femme. Je dirais que pour ce qui est des chiens, la difficulté est vraiment présente. C’est très frustrant ! »

Auguste Tavarez travaille également au Refuge Tony et Co., un organisme qui accueille les chiens abandonnés. Elle garde actuellement un beagle en attendant qu’il soit adopté.

PHOTO FOURNIE PAR AUGUSTE TAVAREZ

Auguste Tavarez et Hunter, observés attentivement par Alphonse

À titre de responsable du centre, elle est témoin d’évènements déchirants au quotidien. « Depuis un mois, je reçois tous les jours au moins deux demandes de refuge pour abandon. Chaque année, on voit vraiment une montée en flèche de délaissement animal vers juillet. »

Directrice générale adjointe de la Société pour la prévention de la cruauté animale (SPCA), Laurence Massé, avec son équipe, côtoie au quotidien des citoyens qui doivent délaisser leurs animaux. Des situations « très tristes, très douloureuses » que tous doivent gérer avec sang-froid.

La saison 2023 s’annonce difficile. La SPCA constate une augmentation de 21 % des abandons comparativement à 2022. Actuellement, Mme Massé reçoit en moyenne jusqu’à 250 appels de gens en détresse par jour.

« Sur notre site internet, on a quelques ressources pour trouver un logement abordable qui accepte les animaux de compagnie », explique Laurence Massé.

À l’heure actuelle, la SPCA compte environ une centaine de chats et une trentaine de chiens en refuge. Les animaux abandonnés ne sont pas tous négligés, précise Laurence Massé. C’est parfois une question de logement, et parfois une question d’argent. « Derrière chaque détresse animale, il y a la détresse humaine », soutient-elle.

Pour sa part, Auguste Tavarez est convaincue qu’elle réussirait à dénicher un logement à Québec « dans de très courts délais » si elle n’avait pas d’animaux. Mais se verrait-elle vivre sans eux ? Jamais. « Hors de question que je m’en débarrasse », répond-elle.

Montréal et Rimouski, même combat

PHOTO FOURNIE PAR VIRGINIE CHEVALIER-ARCHAMBAULT

Virginie Chevalier-Archambault

Déménagement en région

Nom : Virginie Chevalier-Archambault

Âge : 31 ans

Ville : Rimouski

La quête d’un logement est aussi ardue à Rimouski qu’à Montréal. C’est ce qu’a constaté Virginie Chevalier-Archambault, qui doit vivre en colocation, pénurie d’appartements oblige.

Malgré les nombreux obstacles qui entravent sa route vers son déménagement au Bas-Saint-Laurent, Virginie Chevalier-Archambault est déterminée à quitter la métropole. Il y a quelques semaines, elle a décidé de passer l’été à Rimouski, pour tâter le terrain et visiter des appartements. Entre-temps, faute de pouvoir trouver un logement, elle loue une chambre chez un ami.

« J’ai 31 ans, ma carrière est bien établie, mais je suis obligée de faire un pas en arrière et retourner en colocation », déplore-t-elle en entrevue téléphonique.

Au revoir, Montréal

Virginie Chevalier-Archambault caresse le rêve de quitter Montréal depuis cinq ans. Selon l’éducatrice à l’enfance, l’attrait de Rimouski réside dans son fleuve, sa scène culturelle, sa vie universitaire et ses forêts.

Le hic, c’est le taux d’inoccupation à Rimouski, qui est bas. Très bas. Selon les plus récentes données, il frôlait 0,4 % et figurait parmi les plus faibles du Québec. Et la situation ne s’améliore pas.

En janvier dernier, le maire de Rimouski, Guy Caron, a présenté un plan de lutte contre la pénurie de logements. Parmi ces mesures, Rimouski prévoit augmenter le nombre de mises en chantier d’unités résidentielles, lequel a baissé au cours des dernières années en raison de la hausse du coût des matériaux.

Et c’est sans parler de l’explosion des loyers. Selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), le prix moyen des loyers a bondi de 26 % au cours des 12 derniers mois, comparativement à 14 % pour Montréal.

Bienvenue aux jeunes

Qu’est-ce qui explique cet attrait pour Rimouski ? Le « phénomène du scaphandrier », explique Martin Poirier, qui travaille comme agent pour Place aux jeunes (PAJ) Rimouski-Neigette, un organisme qui favorise l’attraction, l’intégration et, surtout, la rétention des jeunes professionnels en région.

« Pour un jeune professionnel qui quitte la ville, Rimouski, c’est un environnement sécurisant, un premier palier de décompression. Le jeune Montréalais retrouvera tous ses services, le même type de commerces qu’il retrouverait sur le Plateau Mont-Royal. »

La pandémie a exacerbé la pénurie de logements, estime Martin Poirier. « L’intérêt des gens à venir s’établir en région ne s’essouffle pas. Mais il n’y a pas assez de logements abordables pour fournir à la demande », explique-t-il.

Malgré tout, Virginie demeure optimiste de trouver son appartement de rêve. « Au moins, j’ai un pied-à-terre, un toit sur ma tête ! », lance-t-elle.

Partir de chez ses parents, un projet plus coûteux qu’avant

PHOTO FOURNIE PAR ANTONIN LAPIERRE

Antonin Lapierre quittera la maison familiale pour un appartement au centre-ville de Rouyn-Noranda le 1er juillet.

Premier appartement

Nom : Antonin Lapierre

Âge : 19 ans

Ville : Rouyn-Noranda

Rouyn-Noranda n’est pas épargné par la crise du logement. Antonin Lapierre quittera le nid familial le 1er juillet et devra dorénavant composer avec des loyers qui ont bien augmenté depuis l’an dernier. Malgré tout, il se considère chanceux.

Le jeune homme de 19 ans déménagera au centre-ville de Rouyn-Noranda avec deux colocataires dans un quatre et demie, un demi-sous-sol. Une amie l’a invité à emménager avec elle, ce qui a simplifié ses recherches. Pour ceux qui ne peuvent pas recourir au bouche-à-oreille, c’est plus difficile, explique celui qui étudie en Arts, lettres et communication au cégep de l’Abitibi-Témiscamingue.

Antonin habitera un logement rénové. Il s’en réjouit puisqu’il a entendu des histoires de logements qui semblaient en bon état à première vue, mais étaient insalubres en fin de compte.

Un loyer élevé

À trois, ils paieront 900 $ par mois, un loyer plus élevé que la moyenne de Rouyn-Noranda, indique Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). « Ce n’est pas un prix que les gens de la région se seraient attendus à payer pour un logement dans un sous-sol il y a quelques années », affirme-t-elle.

Antonin l’a constaté durant ses recherches, croisant souvent « des prix surprenants ». Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), la hausse du prix des loyers est de 10 % par rapport à l’an dernier à Rouyn-Noranda, ce qui représente une augmentation d’environ 80 $.

Le jeune homme, qui travaille en entretien ménager, a bon espoir d’arriver à joindre les deux bouts : « Je ne suis pas stressé pour tout ce qui est argent. C’est plus comment je vais me gérer tout seul. »

Un autre coup de chance : il pourra se rendre à pied au cégep de l’Abitibi-Témiscamingue. Pour les jeunes qui n’ont pas de voiture, comme Antonin, trouver un logement à proximité des services s’avère souvent problématique, souligne Véronique Laflamme.

Pénurie de logements

Selon la SCHL, le taux d’inoccupation avoisinait 0,8 % à Rouyn-Noranda en 2022, ce qui signifie que très peu de logements sont disponibles.

L’université et le cégep de l’Abitibi-Témiscamingue ont informé la Ville de projets de nouvelles résidences étudiantes, ce qui allégerait la recherche d’un logement pour les cégépiens comme Antonin et les étudiants, affirme Samuelle Ramsay-Houle, mairesse suppléante de Rouyn-Noranda.

L’urgence est telle que la Ville a officialisé, le 8 mai dernier, un comité pour étudier la question.

Devenir propriétaire en 2023

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Laurent Trudel déménagera dans son duplex le 1er juillet.

Premier acheteur

Nom : Laurent Trudel

Âge : 28 ans

Ville : Montréal

Laurent vient d’acheter un duplex. Sa première propriété. Le jeune homme de 28 ans y emménagera samedi, à l’heure où les taux hypothécaires des banques dépassent souvent les 6 %.

Grâce à des sacrifices, à des économies, et à un peu d’aide de ses parents pour la mise de fonds, Laurent Trudel a pu acquérir un immeuble, rue Gertrude, à Verdun.

Le gestionnaire de compte pour Lightspeed, une entreprise du secteur des technologies, est devenu propriétaire après plus d’un an de magasinage.

Il réalise une transaction « à plus de 750 000 $ », avec une mise de fonds représentant 20 % du coût total.

« C’est un gros investissement considérant mon âge et toutes les dépenses que j’ai en plus. » C’est pourquoi il était nécessaire que Laurent achète un plex pour amortir ses dépenses et l’« aider à faire [ses] paiements mensuels ».

Le nouvel acheteur a opté pour un taux fixe sur trois ans, étant donné les hausses successives du taux directeur, actuellement de 4,75 %.

« J’ai utilisé tous les atouts à ma disposition », nous informe Laurent. Parmi ceux-ci, il cite le régime d’accession à la propriété (RAP), qui permet de retirer jusqu’à 35 000 $ non imposables de ses régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER), à condition de les rembourser au courant des 15 prochaines années.

Laurent a aussi retiré de l’argent de ses comptes d’épargne libres d’impôt (CELI). Il a même ouvert un CELIAPP, un outil qui permet de placer 8000 $ déductibles d’impôt par année dans un CELI destiné à l’achat d’une première propriété, jusqu’à un maximum de 40 000 $. Le CELIAPP, qui existe depuis le 1er avril 2023, « est arrivé trop tard à [son] goût ».

Des taux qui changent tout

Pour un achat semblable à celui de Laurent, soit une maison à 750 000 $ avec une mise de fonds de 20 % et un taux fixe sur trois ans de 6,34 %, le paiement mensuel revient à 3960 $, d’après une calculatrice disponible sur le site web de Desjardins.

À la fin de l’année 2021, les taux hypothécaires tournaient autour de 2,25 %. À ce taux, les paiements mensuels auraient été de 2613 $, soit 1347 $ de moins par mois.