Un ancien commandant de l'Aviation royale canadienne est catégorique concernant le remplacement des avions militaires

(Ottawa) Le gouvernement Trudeau risque de commettre « l’erreur d’une génération » qui aura des conséquences désastreuses pour le secteur de l’aéronautique du Canada s’il décide d’accorder, sans appel d’offres, un contrat à Boeing pour remplacer les avions de surveillance Aurora, estime l’ancien commandant de l’Aviation royale canadienne (ARC) Michael Hood.

Cette erreur serait non seulement coûteuse pour l’industrie de l’aérospatiale au pays, mais elle le serait aussi pour les Forces armées canadiennes, qui pourraient devoir utiliser pendant des années un appareil qui sera sous peu en fin de production.

D’où l’importance, selon l’ancien commandant de l’ARC, de tenir un appel d’offres en bonne et due forme avant d’accorder un tel contrat de près de 9 milliards de dollars. Un appel d’offres permettrait aux entreprises canadiennes de soumissionner, si elles le souhaitent, pour l’obtention de ce contrat.

« En tant qu’ancien commandant de l’Aviation royale canadienne, je veux que l’on mette la main sur le meilleur avion. Pour y arriver, il faut tenir un appel d’offres », a affirmé sur un ton sans équivoque M. Hood dans une entrevue accordée à La Presse.

Depuis quelques mois, le gouvernement fédéral laisse entendre qu’il pourrait accorder un contrat gré à gré à Boeing pour l’achat de 16 avions P-8A Poseidon afin de remplacer la flotte d’avions CP-140 Aurora, au motif que la société américaine est la seule à être en mesure de construire les avions de surveillance dans les délais impartis.

Or, Bombardier soutient bec et ongles posséder le savoir-faire et la capacité de construire de tels appareils à la fine pointe de la technologie à moindre coût et dans les délais exigés. L’entreprise réclame qu’Ottawa lance un appel d’offres. Bombardier s’est associé avec la société ontarienne General Dynamics pour démontrer son sérieux dans ce dossier. Les deux entreprises sont prêtes à en découdre devant les tribunaux avec le gouvernement Trudeau s’il refuse de lancer un appel d’offres.

Une « fabrication »

L’ancien commandant Michael Hood estime que « l’urgence » de remplacer les avions CP-140 Aurora n’est rien de moins qu’une « fabrication » dans les coulisses du pouvoir à Ottawa. Ces avions peuvent encore servir l’ARC jusqu’en 2030, voire quelques années de plus. Il sait de quoi il en retourne, car c’est lui qui a convaincu le précédent gouvernement conservateur d’investir 600 millions de dollars afin de moderniser ces avions alors qu’il était commandant adjoint de l’ARC.

« Ces investissements avaient pour but de prolonger la durée de vie des avions, mais ils devaient aussi nous donner le temps de tenir un appel d’offres en bonne et due forme dans le but de permettre aux entreprises canadiennes de concurrencer pour obtenir le contrat pour le remplacement des avions Aurora », a expliqué M. Hood.

La seule urgence qui semble exister, selon lui, c’est celle qui est imposée par Boeing, qui compte mettre fin à la production des avions P-8A Poseidon à compter de 2025.

M. Hood a indiqué avoir été récemment embauché par Bombardier comme consultant. Mais ses opinions tranchées en faveur d’un appel d’offres précèdent de bien des années son embauche, comme en témoignent les démarches qu’il a entreprises auprès de l’ancien gouvernement conservateur pour prolonger la vie utile des Aurora alors qu’il était le numéro deux de l’ARC.

En tant qu’ancien commandant de l’Aviation royale canadienne, je veux le meilleur équipement, et le seul moyen de s’en assurer est d’avoir un appel d’offres.

Micheal Hood, ancien commandant de l’ARC

« Pourquoi ne pas avoir un appel d’offres ? Il semble que c’est parce que Boeing a fait savoir qu’il ne pouvait pas respecter le calendrier de livraison des avions en 2030 parce que la production va cesser en 2025 », a affirmé M. Hood.

« Boeing n’a essentiellement plus de commandes pour ces avions, sauf peut-être trois en provenance de l’Allemagne qui sont apparues la semaine dernière, mais il y a autant de pays qui annulent les commandes », a-t-il lancé en entrevue en donnant notamment l’exemple de la Corée du Sud.

Il y a trois semaines, le comité de la défense, qui s’est penché sur les démarches d’Ottawa visant à remplacer les avions de surveillance, a adopté une motion exhortant le gouvernement Trudeau à tenir un appel d’offres, comme l’exige Bombardier.

Cette motion a été adoptée après une déclaration publiée par le premier ministre du Québec, François Legault, et le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, pressant aussi Ottawa d’écarter l’idée d’accorder un tel contrat sans tenir un appel d’offres.

En entrevue, M. Hood s’est dit abasourdi de constater que les mandarins fédéraux du ministère de la Défense et du ministère Services publics et Approvisionnement n’aient pas cru bon de communiquer avec Bombardier et General Dynamics afin de s’enquérir au sujet de leur capacité de production.

« J’ai toujours eu une confiance immense envers le secteur aérospatial canadien et je crois que nous avons le devoir d’au moins lui donner la chance de se faire valoir dans le cadre d’un appel d’offres. […] Je ne peux pas croire toute la bouffonnerie que l’on voit en ce moment au niveau politique à ce sujet », a-t-il conclu.